Climat – Des forêts pour s’adapter

24 mai 2023

Bien souvent, quand on pense à la nature, on imagine des forêts à perte de vue. On visualise le paysage emblématique du Canada avec son étendue de végétation, la cime des arbres et la faune qui y habite. On oublie parfois que ces forêts jouent un rôle actif face aux changements climatiques en étant des puits de carbone naturel, en protégeant la biodiversité et en servant de rempart face aux événements météorologiques extrêmes . 

Et si l’une des solutions les plus simples et les plus efficaces contre les changements climatiques passait par la forêt ? On vous explique pourquoi et comment avec des exemples bien de chez nous!

Comment ça marche ?

Lorsqu’on le compare au milieu agricole ou aux milieux humides, le secteur forestier est celui qui a le plus de potentiel dans la réduction des GES à l’horizon 2050. En protégeant les milieux forestiers, en les restaurant et en améliorant les pratiques forestières au Canada, il serait possible de réduire les émissions de GES d’environ 11,9 mégatonnes d’équivalent CO2 par an jusqu’en 2030 et encore plus en 2050. Soit le potentiel de réduire l’équivalent des émissions GES de 3,2 millions de véhicules par an sur les routes canadiennes.

Comment ça fonctionne ? En fait, la protection de la forêt, sa régénération et une industrie forestière qui aurait des pratiques exemplaires participeraient à l’atténuation des changements climatiques de trois façons:

1

En séquestrant du carbone en forêt lors de la croissance des arbres

2

En stockant du carbone en forêt et dans les produits du bois

3

En participant à la substitution par le bois de produits à haute intensité carbone comme le béton

Mais ce n’est pas tout : les forêts sont d’importantes alliées dans notre adaptation aux changements climatiques. Premièrement, les forêts en santé ont un rôle primordial dans le contrôle et la limitation des feux de forêts. Deuxièmement, les forêts de proximité offrent un refuge contre les épisodes de chaleur extrême et une protection contre les inondations et l’érosion.  Ensuite, les milieux forestiers sont d’importants refuges pour la biodiversité, elle-même mise à mal par les changements climatiques. Enfin, les forêts ont un rôle-clé dans la purification de l’air et sont un remède de plus en plus reconnu contre la dépression et l’anxiété à un moment où la crise environnementale exerce un stress croissant sur nos corps et nos têtes.

En somme, la forêt peut devenir de ce que l’on appelle une « solution nature pour le climat », par opposition aux solutions technologiques qui offrent relativement peu de co-bénéfices.

Les solutions nature pour le climat, c’est quoi ?

Les solutions nature pour le climat  sont un ensemble d’actions mettant de l’avant les écosystèmes dans la réduction des émissions de GES et l’adaptation aux changements climatiques. Ces solutions s’appliquent tant aux secteurs de l’agriculture, de la gestion des eaux, de la foresterie que de l’aménagement urbain. À l’échelle mondiale, les solutions nature représentent jusqu’à 37 % des efforts mondiaux de lutte contre les changements climatiques d’ici 2030.

Afin que les forêts canadiennes et québécoises jouent leur rôle de solution nature pour le climat, il y a trois étapes à suivre :

Protéger les forêts existantes

Améliorer les pratiques forestières

Restaurer les forêts dégradées

Voici quelques exemples d’initiatives mises en place au Québec.

Éviter la conversion et la destruction des forêts

La solution nature la plus évidente et la plus efficace est de protéger les milieux forestiers existants. Cela peut impliquer la création par le gouvernement de vastes aires protégées dans des massifs forestiers ou diverses initiatives de conservation en terre publique ou privée.

Une ville peut par exemple choisir de préserver ses forêts en évitant leur conversion en terres agricoles ou en zones constructibles. Pour cela, la municipalité peut modifier son zonage afin de préserver des boisés. 

Lorsque ce n’est pas le cas, les citoyen-ne-s et des organismes peuvent se mobiliser.

C’est ce qui est arrivé avec la forêt Jolicœur-McMartin, à Chelsea. Un ensemble résidentiel allait s’implanter dans ce boisé utilisé par la communauté. Les résident-e-s de Chelsea et l’organisme Action Chelsea pour le respect de l’Environnement ont amassé 850 000 $ afin d’acquérir ce boisé de 57 acres. Ils ont procédé à l’achat du boisé et ont permis de préserver cet écosystème qui contribue au bien-être de la population de Chelsea. La gestion de ce boisé est confiée à l’organisme et les résident-e-s envisagent d’inscrire leur joyau au nombre des aires protégées de la région. La valeur écologique de ce boisé est très grande. La présence de plusieurs étangs et de milieux humides à l’intérieur de ces forêts mixtes nordiques en fait un milieu propice pour plusieurs espèces en péril, dont le noyer cendré, la pipistrelle de l’Est et la tortue peinte. Cette initiative remarquable évite non seulement la conversion d’un écosystème, mais elle permet aussi le maintien de la biodiversité, de la séquestration du carbone déjà en place, la recharge en eau des puits domestiques de la communauté environnante ainsi que le maintien de la qualité de vie des résident-e-s du quartier. Cette forêt importante de Chelsea est désormais une aire protégée communautaire, détenue et gérée par Action Chelsea pour le respect de l’Environnement.

Photographie : Grégoire Crevier
Photographie : Grégoire Crevier

L’achat est un exemple d’action mais elle n’est pas l’unique modèle. Toute mobilisation de groupes citoyens ou environnementaux a un impact sur l’avenir des boisés. Cela peut se traduire sous forme de pétitions, de rassemblements, de revendications de solutions nature aux conseils municipaux… Un élément à garder en tête dans ces situations: les solutions nature doivent être réalisées dans le respect de plusieurs critères tels que procurer des avantages nets à la biodiversité, être économiquement viables et reposer sur des processus de gouvernance inclusifs.

Des projets d’aires protégées initiés par la communauté

Afin de conserver de vastes forêts et leur riche biodiversité, il arrive que des communautés se mobilisent et montent elles-mêmes des projets d’aires protégées qui seront soumis ensuite au gouvernement du Québec. C’est le cas de la Forêt de la Seigneurie de Lotbinière, plus grand massif forestier en terre publique des Basses-terres du Saint-Laurent, où on trouve une grande concentration de forêts anciennes peu ou jamais exploitées. Depuis plusieurs années, cinq organismes régionaux portent un projet de conservation visant la protection d’un corridor à haute valeur écologique autour de la rivière du Chêne et de ses principaux affluents en terre publique. Ce projet prendrait la forme d’une portion en réserve de biodiversité, un statut québécois d’aire protégée.

Des projets d’aires protégées situées en milieu forestier sont également portées par des personnes issues des Premières Nations comme celui du Ya’nienhonhndeh de la Nation huronne-wendat et du Pipmuakan des Innus de Pessamit.

Jonction des rivières du Chêne et Henri et bras mort de la rivière du Chêne (à droite).

Améliorer la gestion des forêts

Si des forêts en santé ont de grands bénéfices pour le climat et la protection de la biodiversité, c’est exactement l’inverse pour celles qui sont dégradées et qui font les frais de mauvaises pratiques forestières. Ainsi, les forêts qui subissent un stress chronique seront plus vulnérables aux épidémies ou aux feux de grande ampleur qui relâcheront des millions de tonnes de carbone dans l’atmosphère. Le risque est alors de faire passer la forêt de puits de carbone à émettrice nette de gaz à effet de serre.  De plus, les mauvaises pratiques forestières affectent particulièrement la biodiversité et les espèces menacées comme le caribou. À terme, elles rendent plus vulnérables les communautés qui dépendent économiquement ou culturellement de la forêt. On peut donc passer rapidement de cercle vertueux à cercle vicieux (1). C’est pourquoi l’amélioration de la gestion des forêts est essentielle pour en faire des « solutions nature ». Cette amélioration passe par exemple par une foresterie durable qui reconnaît la nécessité de créer des aires protégées plutôt que de s’y opposer systématiquement.

Au Québec, on remarque la volonté des travailleur-euse-s de la forêt de demander et d’appliquer les bonnes pratiques forestières. En avril 2022, Nature Québec a lancé une alliance avec la Fédération de l’industrie manufacturière de la CSN (FIM–CSN), qui rassemble plus de 25 000 travailleuses et travailleurs réuni-e-s au sein de 320 syndicats partout au Québec. L’objectif est de proposer une meilleure gestion des forêts au bénéfice des emplois qui dépendent d’écosystèmes forestiers en santé.

Pour illustrer cette amélioration des pratiques, prenons le cas de la Forêt Hereford dans les Cantons-de-l’Est. Neil et Louise Tillotson étaient propriétaires de 5 600 hectares de forêt englobant le mont Hereford. À leur succession, ils ont fait un don écologique pour permettre la création d’une forêt communautaire gérée par un organisme de bienfaisance, Forêt Hereford inc. En matière d’amélioration des pratiques, l’initiative vise l’utilisation durable des ressources. Ainsi, 140 hectares du territoire sont dédiés à la recherche fondamentale et appliquée pour l’aménagement forestier durable. Parmi les lignes directrices visant à améliorer la gestion, on retrouve la volonté de ne pas rajeunir les écosystèmes forestiers, l’atteinte d’une plus grande diversité et variabilité forestière et l’allongement du cycle de coupe partielle de 15 ans à 30 ans.

Photographie : Forêt Hereford
Photographie : Forêt Hereford

Mais l’amélioration des pratiques forestières ne se fait pas sans une protection et une restauration adaptée. Cet exemple démontre l’importance d’allier protection, meilleure gestion et restauration du milieu naturel. Ici, 1000 hectares de la superficie de la forêt Hereford sont placés en servitude de conservation, dont 239 avec un statut de conservation strict, sous la responsabilité de Conservation de la Nature Canada. L’exploitation forestière y est également pratiquée avec l’objectif de recréer l’équilibre de la forêt pour favoriser un rendement plus durable et soutenu.

Photographie : Forêt Hereford
Photographie : Forêt Hereford

Restaurer le couvert forestier

Une fois que le mal est fait, est-il impossible de revenir en arrière ? Est-ce que replanter des arbres en vaut la peine ? Eh bien oui. Même si la restauration des écosystèmes est l’intervention la plus coûteuse et difficile à réaliser, restaurer le couvert forestier a un immense potentiel de captation du carbone, car les arbres en absorbent durant leur croissance. Le hic ? Les arbres mettent du temps à pousser. Les bienfaits d’un arbre que l’on plante aujourd’hui prennent des dizaines d’années à se concrétiser. C’est pourquoi il est important de protéger les arbres et boisés existants. Toutefois, restaurer le couvert forestier permettrait tout de même de réduire nos émissions de 0,7 mégatonne de CO2 jusqu’en 2030 et de 7,40 mégatonnes de CO2 entre 2030 et 2050 (2). Alors, autant s’y mettre maintenant!

Plusieurs exemples montrent que c’est possible et que les bienfaits environnementaux et sociaux sont importants. Pour faire simple, reprenons l’exemple de la Forêt Hereford. En plus de la protection et de l’amélioration des pratiques forestières, la restauration s’est ressentie surtout dans un objectif de diversification des espèces. L’idée est de revenir à une vieille forêt complexe de couverts mixtes de feuillus nobles. Parmi les actions mises en place, il y a le reboisement d’essences forestières plus rares (chêne, pin blanc, tilleul) par le biais de coupes partielles ou d’enrichissement aux endroits propices, de même que la diminution des chemins forestiers pour réduire la fragmentation du massif forestier. Il y a donc eu une diversification des espèces, de la plantation et des aménagements pour faciliter l’implantation de certaines essences. Ce projet immense génère plusieurs co-bénéfices, dont la captation carbone, l’amélioration de la biodiversité et l’accès à un milieu naturel de qualité pour pratiquer des activités récréotouristiques. Un des éléments cruciaux de cette initiative bien de chez nous réside dans le fait que cet important massif forestier est géré par la communauté et permet de générer une importante activité économique… comme quoi conservation et gestion durable ne sont pas incompatibles avec l’économie.

Photographie par Mélanie Jean
Photographie par Mélanie Jean

Et moi, qu’est-ce que je peux faire ?

Au niveau citoyen, vous pouvez planter un arbre dans votre cour. Vous pouvez appuyer des initiatives concrètes et vous assurer de la mise en œuvre de solutions nature autour de chez vous. Vous pouvez convaincre les décideur-euse-s de mettre en place des politiques et des actions de protection des boisés, parcs, forêts et nature de proximité. Parlez des solutions nature à votre entourage, à votre conseil municipal, à vos député-e-s. Faites-en une question de l’urne lors des élections.

Et en ville ?

On le sait : planter des arbres est une des solutions pour s’adapter aux changements climatiques. Peu de Québécois-e-s ont la chance d’avoir la forêt boréale comme voisine. Ceci dit, on peut tenter de « rapprocher la forêt » de nos milieux de vie.

Verdir les villes et planter des arbres les rives d’un lac ou d’une rivière sont des actions efficaces pour réduire les effets des îlots de chaleur, réduire les risques d’inondations et offrir des espaces sains pour l’environnement et la santé.

Une ville peut augmenter la canopée en choisissant de :

Planter des arbres sur ses terrains municipaux, créer des microforêts en ville

Favoriser la création d’oasis urbaine et de trames vertes et actives

Inciter les citoyen-ne-s et les entreprises à verdir leurs espaces extérieurs

Procéder à l’afforestation de rives d’un plan d’eau afin d’en solidifier les berges et de laisser les végétaux agir comme digue naturelle.

À Québec, notre programme Milieux de vie en santé vise à démontrer les bienfaits du verdissement sur la santé dans un contexte de changements climatiques en milieu urbain. Par la végétalisation d’espaces collectifs et la création d’outils éducatifs, notre équipe et son réseau de partenaires sensibilisent par l’action, pallient au déficit nature et contribuent à la résilience des collectivités. 

Depuis 8 ans, Nature Québec plante des arbres pour célébrer la Journée de l’Arbre de la Santé, qui a lieu chaque année le 3ème mercredi de septembre. L’équipe du programme Milieux de vie en santé participe à cette journée initiée par Médecins francophones Canada et qui met à l’honneur les liens entre santé et environnement. Ayant à cœur la santé des aîné-e-s et des populations vulnérables à la crise climatique, Nature Québec collabore avec des établissements de santé et des organismes du milieu pour souligner les bienfaits des arbres. La collaboration se poursuit donc depuis 4 ans avec le CIUSSS Mauricie-et-du-Centre-du-Québec et depuis 8 ans avec le CIUSSS de la Capitale-Nationale. Ces plantations participent à réduire l’impact des vagues de chaleur, à maintenir la qualité de l’air et à tenir des activités collectives, au bénéfice de la santé physique et mentale des populations. 

Ce projet permet de séquestrer davantage de carbone sur le territoire. Ces arbres permettent la création d’îlots de fraîcheur et d’oasis dans lesquelles les résident-e-s des hôpitaux et des CHSLD peuvent venir se ressourcer et se rencontrer.

Les milieux forestiers sont de précieux atouts pour s’adapter aux changements climatiques. Au Québec, nous avons la chance d’avoir un territoire constitué de près de 50 % de forêts et d’avoir à cœur la préservation de ceux-ci. De nombreux projets de solutions nature sont déjà à l’œuvre. Il est donc important de continuer à protéger, mieux gérer et de restaurer ces écosystèmes forestiers pour bénéficier de leurs nombreux bienfaits. Cela passe par l’évitement de la conversion des sols, une meilleure gestion de la part de l’industrie forestière, la restauration du couvert végétal et l’augmentation de la canopée dans les îlots de chaleur.

Références

Drever, D. R., Cook-Patton, S. C., Akhter, F., Badious, P. H., Chmura, G. L., Davidson, S. J., et coll. (2021). Natural climate solutions for Canada. Sci. Adv. 7, eabd6034.

ICI Colombie-Britanique (2022). « Les médecins peuvent prescrire des « bains de forêt » dans les parcs nationaux », Radio-Canada, en ligne, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1858929/prescription-nature-bc-parks-fondation-parcs-canada-entree-decouverte-parx, consulté le 3 mai 2023.

La Presse (2019). « Incendies: la forêt boréale ne serait plus un puits de carbone », La Presse, en ligne, https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2019-08-21/incendies-la-foret-boreale-ne-serait-plus-un-puits-de-carbone , page consultée le 3 mai 2023. 

SKENE, Jennifer, POLANYI, Michael (2021). « Missing the forest : how carbon loopholes for logging hinder Canada’s climate Leadership», Report of NRDC, Nature Canada, Environmental Defence, Nature Québec, october 2021, en ligne, https://naturequebec.org/wp-content/uploads/2021/10/RA-omission-emissions-20211028-EN.pdf 

Rédaction

Lucie Bédet

Révision

Gabriel Marquis

Anne-Céline Guyon