La Commission sur les caribous forestiers et montagnards : pourquoi et comment y participer?

6 avril 2022
Crédit photo : Jean-Simon Bégin

Dernièrement, peut-être avez-vous entendu des propos tels que «le Québec doit choisir entre des jobs et le caribou !», ou encore «quel prix êtes-vous prêts à payer pour sauver le caribou ?». Auquel cas, il s’agit probablement de propos tenus dans la foulée de la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, officiellement lancée le 17 mars dernier.

Le mandat avoué de cette commission est de «limiter les impacts socio-économiques» de la protection des caribous (1). Afin d’y arriver, elle propose d’entendre les Québécois(es) sur deux scénarios envisagés par le gouvernement du Québec afin de protéger les populations de caribou et leurs habitats. Soyons clairs : aucun de ces scénarios n’est idéal et la pertinence de la Commission elle-même est discutable (nous y reviendrons), mais Nature Québec y participera… et nous vous invitons à faire de même.

Alors que la situation de plusieurs populations est critique, il importe de donner une voix au caribou et de faire contrepoids aux parties prenantes pour qui sa protection n’est pas prioritaire. 

Voici donc un rappel de la saga qui mène depuis plusieurs années à la lente agonie des caribous forestiers et montagnards et les manières de faire entendre votre voix pour que ça change!

Reconnaître le caribou

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Un manque de volonté politique qui ne date pas d’hier

Le caribou forestier (que l’on retrouve dans la forêt boréale québécoise) a le statut d’espèce vulnérable au Québec depuis 2005, et celui d’espèce menacée au Canada depuis 2003. De son côté, le caribou montagnard de la Gaspésie a le statut d’espèce menacée au Québec depuis 2009, et celui d’espèce en voie de disparition au Canada depuis 2003. Pour le caribou de la Gaspésie, il s’agit dans les deux cas du statut de protection le plus élevé. Depuis plusieurs années, les gouvernements qui se sont succédés sont donc bien au fait de l’urgence d’agir afin de protéger les deux écotypes de caribous.

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En 2016, le plan d’action gouvernemental pour l’aménagement de l’habitat du caribou forestier prévoyait d’ailleurs l’adoption d’une stratégie à long terme pour protéger le caribou forestier et son habitat. Cette stratégie, qui aujourd’hui vise aussi le caribou de la Gaspésie, n’a toutefois pas encore vu le jour. Prévue initialement pour le printemps 2018, elle a été repoussée en 2019, en 2022, puis en 2023 (2).

En parallèle, le gouvernement du Québec a mis de côté en 2020 plusieurs projets d’aires protégées qui auraient pourtant été bénéfiques pour le caribou (3), notamment dans le secteur Pipmuacan au Saguenay-Lac-Saint-Jean et dans les Chic-Chocs en Gaspésie. Sur certains sommets des Chic-Chocs fréquentés par le caribou de la Gaspésie, des coupes forestières ont même été annoncées à l’horizon 2023 (4).

La coupe des forêts matures, le gros du problème

Les coupes forestières font disparaître le lichen arboricole dont le caribou se nourrit l’hiver. Elles rajeunissent également les forêts où il vit et changent leur composition. Les forêts plus jeunes et plus feuillues sont davantage fréquentées par l’orignal. Plus l’orignal y est abondant, plus il y a de prédateurs, et plus le risque de prédation sur le caribou augmente aussi.

On nomme ce phénomène la compétition apparente. Finalement, les chemins forestiers permettent aux prédateurs de se déplacer plus facilement et donc, augmentent l’efficacité de leur prédation sur les caribous.

Plutôt que de protéger efficacement l’habitat du caribou des activités humaines, dont l’exploitation forestière, le gouvernement du Québec a préféré opter pour des mesures extrêmes, comme la mise en enclos des populations de Val-d’Or (5), de Charlevoix et d’une partie de celle de la Gaspésie (6).

Crédit photo : Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs
Crédit photo : Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs

Le désengagement des gouvernements québécois successifs est flagrant, à tel point que le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a dû sommer le ministre québécois des Forêts, de la Faune et des Parcs d’en faire plus, sans quoi il interviendrait en vertu des pouvoirs que lui confère la loi canadienne sur les espèces en péril (7)!

La Commission, qu’est-ce que c’est ?

Plutôt que de mettre rapidement en place une stratégie afin de freiner le déclin des populations de caribou, le gouvernement du Québec a lancé le 17 mars dernier la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards. Très ironiquement, aucun(e) spécialiste du caribou ne fait partie du comité responsable de piloter la Commission, une situation décriée par plusieurs groupes environnementaux et expert(e)s (8). 

Cette commission vise à connaître l’opinion des citoyen(ne)s, des communautés autochtones et de différentes parties prenantes sur les mesures qui devraient être mises en place pour gérer l’habitat du caribou et, plus précisément, sur les impacts économiques de telles mesures.

Deux scénarios teintés par l’industrie

Deux scénarios de gestion sont proposés pour alimenter la réflexion. Chacun de ces scénarios présente les modalités d’aménagement forestier et les territoires envisagés pour leur application, les impacts sur les approvisionnements en bois, une estimation de leurs coûts de mise en œuvre et de leurs conséquences économiques… mais presque aucune information quant à leurs effets sur les populations de caribou ! 

Nous sommes d’avis que ces deux scénarios se basent avant tout sur les besoins de l’industrie forestière.

Scénario 1
Le premier scénario, bien qu’il soit présenté comme un scénario extrême au bénéfice du caribou (9), constitue en fait un compromis entre les besoins de l’espèce pour assurer son rétablissement et les revendications de l’industrie forestière.

Scénario 2
Le deuxième scénario, dit «sans incidence additionnelle sur les approvisionnements en bois», mènerait quant à lui à la disparition à court terme des populations de Val-d’Or, de Charlevoix et du Pipmuacan. 

Précisons qu’un scénario qui fait disparaître le quart des populations de caribou forestier et qui met la hache dans les zones de connectivité ne devrait tout simplement pas être étudié par cette commission. Nous croyons qu’il faut plutôt partir du scénario compromis et l’améliorer pour qu’il respecte la science et qu’il permette à l’espèce de se rétablir. En ce sens, le premier scénario est acceptable, mais il représente l’effort minimal pour une stratégie de protection du caribou; il aurait tout intérêt à être bonifié pour qu’il bénéficie de meilleures probabilités de succès. Cette option devrait être celle qui est défendue lors de la Commission. Il ne faut absolument pas chercher un juste milieu entre le premier scénario, qui est déjà un compromis, et le deuxième scénario catastrophique pour le caribou. Il faut partir du premier scénario et l’améliorer, notamment avec la création d’aires protégées.

Pourquoi Nature Québec dénonce cette commission

(et pourquoi il faut y participer quand même)

Crédit photo : Hugues Deglaire

D’emblée, Nature Québec dénonce cette commission puisqu’elle n’amènera aucun nouvel élément scientifique ni nouvelle solution pour sauver les caribous. Elle semble avoir été mise sur pied pour repousser encore l’action gouvernementale, alors que plusieurs populations de caribou sont au bord de l’extinction. Par ailleurs, elle ne respecte pas le consentement libre et éclairé des peuples autochtones.

Des solutions déjà connues

Les causes du déclin du caribou et les solutions pour le protéger sont bien connues, comme le démontrent d’ailleurs les expert(e)s du gouvernement dans cette revue de littérature publiée en novembre 2021.

On y lit que la principale menace sur le caribou est l’altération de ses habitats par les activités humaines, en particulier l’exploitation forestière, tandis que la protection de grands massifs forestiers intacts et la restauration des habitats perturbés sont essentielles pour assurer la survie des populations. En somme, ce document démontre que le gouvernement a déjà entre les mains suffisamment d’informations pour proposer dès maintenant une stratégie efficace pour protéger le caribou (10).

Nous déplorons aussi que le gouvernement du Québec ne reconnaisse pas pleinement les droits et le rôle décisionnel des peuples autochtones dans la gestion du caribou. Le caribou est au cœur de l’identité et de la culture de plusieurs communautés autochtones. Pourtant, leurs connaissances traditionnelles de l’espèce, acquises depuis des générations, ne sont pas adéquatement prises en considération. Exaspérées, les communautés innues d’Essipit et de Mashteuiatsh ont d’ailleurs entrepris un recours devant la Cour supérieure du Québec (11).

Ne pas laisser toute la place à l’industrie

Malgré ces importantes réserves, nous pensons qu’il est essentiel de participer activement à la Commission et de faire valoir les arguments pour la sauvegarde des caribous. Bien que nous respections les personnes et les organisations qui boycottent la Commission, Nature Québec croît qu’en refusant de participer, on risque de laisser toute la place à l’industrie forestière et à ses lobbys qui essayeront de sabrer dans les mesures de protection pour le caribou.

Quand et comment participer ? 

Jusqu’à présent, l’inaction gouvernementale pour protéger efficacement le caribou a été coûteuse pour la société et la biodiversité. Elle force la prise de mesures extrêmes, qui ne sont durables ni pour les caribous ni pour les communautés locales. La désinformation véhiculée par l’industrie forestière et ses lobbys (17) est une menace aux efforts requis pour protéger le caribou et son habitat. Elle contribue à semer de l’incertitude auprès du public, à polariser le débat et à retarder les prises de décision. Il est temps de rétablir l’équilibre et de se mobiliser afin que le Québec honore ses responsabilités et se dote d’une stratégie de protection qui a du panache ! 

Comme nous, nous vous invitons à participer à la commission.

Comment participer

Jusqu’au 31 mai, vous pouvez participer à la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards en personne ou par écrit, en ligne, en répondant à un questionnaire ou en déposant un mémoire. Nul besoin d’être un-e expert-e. Pour connaître les modalités et avoir accès un argumentaire, consultez notre page.

Références

(1) – Une commission pour «limiter les impacts économiques» de la protection du caribou | Le Devoir 

(2) – Le plan de rétablissement du caribou repoussé à 2023 | La Presse

(3) – Aires protégées: une occasion manquée pour les caribous | Le Devoir

(4) – Des coupes forestières dans les sommets des Chic-Chocs | Radio-Canada.ca

(5) Les sept caribous de Val-d’Or ont été placés en enclos | Radio-Canada.ca

(6) Les caribous de Charlevoix et de la Gaspésie en captivité dès cet hiver | Le Devoir

(7) – La protection du caribou toujours dans la mire d’Ottawa | Radio-Canada.ca

(8) – Une commission indépendante sur le caribou sans expert sur le caribou | Radio-Canada.ca

(9) – Sacrifier des caribous ou des emplois : le Québec face à « un choix de société » | Radio-Canada.ca

(10) – Protection du caribou | Le ministre Dufour contredit par son propre ministère | La Presse

(11) – Protection du caribou : Essipit et Mashteuiatsh s’adressent à la Cour | Radio-Canada.ca

(12) – Résumé de l’Accord de Partage des coûts pour la protection et le rétablissement du caribou boréal et son habitat au Québec – Canada.ca

(13) – Stratégie d’aménagement durable des forêts (quebec.ca)

(14) – Le caribou, une espèce clé de l’identité innue – La Presse+

(15) – Caribous : Wendake « renversé » par l’idée de sacrifier la harde de Charlevoix | Radio-Canada.ca

(16) – Caribou Forestier de Val-d’Or (adikcaribouvd.ca)

(17) – From climate to caribou: How manufactured uncertainty is affecting wildlife management – Boan – 2018 – Wildlife Society Bulletin – Wiley Online Library

Crédits

Rédaction : Marie-Audrey Nadeau Fortin

Révision : Marianne Caouette, Alice-Anne Simard et Gabriel Marquis