Nature Québec a 40 ans…. Et toutes ses dents!
3 novembre 2021Manifs, journaux, pétitions… Plusieurs ont déjà vu le nom de Nature Québec, mais relativement peu savent qu’il s’agit de la première organisation environnementale de portée nationale à avoir vu le jour au Québec. Fondée en 1981, Nature Québec fête cet automne ses 40 ans. Pour l’occasion, nous avions envie de vous faire découvrir la petite histoire d’un organisme qui a évolué au fil de la conscience environnementale des Québécois-es.
Des débuts de la revue Franc-Nord aux victoires contre Énergie Est et GNL Québec, voici un condensé de 4 décennies de militantisme.
Partir de rien… ou presque
1981- 1990
Au début des années 1980, le mouvement environnemental québécois a déjà quelques assises. Comme ailleurs dans le monde, la publication du Rapport Meadows (Halte à la croissance), la création du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et les actions de Greenpeace à l’international ont des échos au Québec.
Des groupes citoyens s’organisent autour d’enjeux comme le nucléaire, la protection des forêts et la gestion des déchets. Parmi ces groupes citoyens engagés, on trouve Harvey Mead, arrivé du Nouveau-Mexique une décennie plus tôt, et dont on reparlera un peu plus loin.
Outre des organisations comme les AmiEs de la Terre de Québec et ENvironnement JEUnesse apparues dans les années 1970, il n’y a pas d’organisme qui regroupe à proprement parler les forces du mouvement écologiste sur une base nationale.
Une série de luttes parallèles pour la sauvegarde de milieux humides face à des projets destructeurs – dont une extension du Port de Québec qui menace les battures de Beauport (bien avant Laurentia!) – va bientôt changer la donne. Le cumul de menaces contre de précieux écosystèmes fait naître le besoin pour le mouvement écologiste de se doter d’une force de frappe, unifiée et crédible.
C’est ainsi que naît à l’été 1981 Le Front commun québécois des espaces verts et des sites naturels qui deviendra l’Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN), puis Nature Québec.
Au départ, le Front regroupe six organismes : le Club des ornithologues du Québec (dont fait partie Harvey Mead qui préside le Front), la Société Provancher d’histoire naturelle du Canada, la Société linnéenne du Québec, le Conseil régional de l’environnement de l’Est du Québec, la Société zoologique du Québec, le Laboratoire d’écologie végétale de l’Institut de botanique de Montréal et le Conseil régional des loisirs du Québec.
Rapidement, le Front participe à ses premières audiences du BAPE et change de nom pour devenir l’Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN), se voulant le pendant québécois de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
À cette époque et durant la décennie qui suit, une grande partie du travail de l’UQCN est bénévole. Cela n’empêche pas l’organisme de lancer le premier magazine québécois consacré à la conservation.
La revue Franc-Nord (qui deviendra Franc-Vert) connaît un premier tirage à 15 000 exemplaires à l’hiver 1984, un exploit!
Franc-Nord devient en quelque sorte le premier outil de sensibilisation de Nature Québec. Son concours photo annuel « La nature du Québec en images » deviendra très populaire et permettra par ricochet d’intéresser le grand public à des enjeux environnementaux jusqu’alors méconnus.
Outre la participation à des commissions et la publication de mémoires, l’UQCN lancera des initiatives permettant aux citoyen-ne-s de s’impliquer activement dans la conservation des milieux naturels. L’une des plus déterminantes, Stratégie Saint-Laurent, est lancée en 1989 et regroupe une dizaine d’organismes citoyens autour des enjeux touchant le fleuve, le tout sous la coordination d’un certain Christian Simard…
Jusqu’alors marginal, le mouvement environnemental québécois gagne en importance dans les années 1980 et veut s’exprimer sur des enjeux de portée nationale. Le travail de l’UQCN va lui fournir une solide base.
Un premier âge d’or
1990-1999
La décennie 1990 s’amorce avec le premier Sommet de la Terre, à Rio en 1992, qui devient la base de l’action des États autour de la biodiversité et des changements climatiques. C’est notamment de ce sommet que naîtront plus tard le Protocole de Kyoto et l’Accord de Paris.
Au niveau international, les États se dotent d’objectifs environnementaux et au niveau national, la société civile peut les mettre en face de leurs engagements. En somme, les enjeux environnementaux deviennent de plus en plus médiatisés… et mainstream.
Cette tendance se reflète du côté de l’UQCN, qui connaît une croissance importante. Au milieu des années 90, l’organisme compte plus de 8000 membres. À ce moment, aucun organisme québécois ne ratisse aussi large : agriculture, foresterie, enjeux énergétiques, maintien des écosystèmes, aires protégées, transports et développement urbain, tout y passe!
Dans les coulisses, les pressions exercées par l’UQCN et le mouvement environnemental réussissent à faire appliquer le Règlement sur l’analyse et l’évaluation environnementale aux grands projets industriels. L’UQCN forme aussi la Coalition pour la forêt vierge nordique qui réclame une meilleure gestion de la forêt boréale et la création d’aires protégées.
L’UQCN s’intéresse par ailleurs déjà à une thématique restée chère à Nature Québec : le droit d’accès à la nature. En 1994, l’organisme s’unit à la WWF et à l’Association des biologistes du Québec pour empêcher la privatisation de nombreux parcs provinciaux.
De son côté, son président, Harvey Mead, tente de changer les choses « de l’intérieur » en devenant sous-ministre adjoint au développement durable, un passage qui lui fera prendre conscience de la difficulté de faire avancer la cause environnementale à travers l’appareil gouvernemental.
Le virage
2000-2009
Canicules meurtrières, ouragans dévastateurs et un film : Une vérité qui dérange. L’étau des changements climatiques se resserre. Au Québec et ailleurs, on sent un décalage grandissant entre l’action (ou l’inaction) des gouvernements et la nouvelle réalité climatique. Le bilan de la biodiversité est tout aussi alarmant. Il est temps de donner un grand coup de barre.
Malheureusement, au début des années 2000, l’UQCN connaît d’importantes difficultés financières. Le tirage papier de la revue Franc-Nord / Franc-Vert doit notamment être abandonné. Heureusement, l’organisme peut compter sur des bénévoles et continue de s’impliquer dans des coalitions aux côtés d’organismes nés dans le sillage de l’UQCN (allo Équiterre et l’AQLPA!). Face à des enjeux qui demandent une réponse musclée et rapide, l’union fait la force!
C’est donc en coalition que de nombreuses luttes sont remportées. Parmi celles-ci, l’adoption d’un moratoire sur la production porcine, l’abandon du projet de centrale à gaz du Suroît, le combat contre l’exploitation des hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent et la coalition Aux arbres citoyens!, qui dépose une pétition de 185 000 signatures pour la protection de la forêt.
Gros succès que fut également la mise sur pied de la Commission Coulombe sur l’État de la forêt à la suite des pressions exercées par l’UQCN et le film L’Erreur boréale de Richard Desjardins. Son rapport vient confirmer ce que nous savons déjà : il y a surexploitation des forêts au Québec. Plusieurs années plus tard, il reste beaucoup à faire.
La fin des années 2000 marque par ailleurs une ère de changement. À l’aube de ses 25 ans, l’UQCN change de nom pour devenir Nature Québec. Revenu après un séjour en politique active, Christian Simard prend les commandes de l’organisme.
Sous sa direction générale, l’organisme amorce plus systématiquement le développement de grands projets de recherche et la production d’outils de sensibilisation.
On doit également noter l’immense apport de Me Michel Bélanger, avocat spécialisé en droit de l’environnement, qui prend la présidence de Nature Québec en 2006 pour 10 ans.
Me Bélanger intègre l’arsenal juridique à de nombreux combats de Nature Québec : les forages à Anticosti, le port pétrolier à Cacouna par la compagnie TransCanada et la rainette faux-grillon à La Prairie.
Sorte de chrysalide, les années 2000 auront permis à Nature Québec d’évoluer vers sa forme actuelle et d’imposer la marque : des campagnes pour réagir ; des projets pour avancer. Une sorte de mini-wheat environnemental.
Les années hyperactives
2010-2020
Pour Nature Québec, la décennie qui vient de s’achever a été marquée par une multiplication des projets, des campagnes, mais également des victoires décisives. En effet, la force de frappe qu’on reconnaît aujourd’hui au mouvement environnemental s’est consolidée assez récemment dans des luttes auxquelles Nature Québec a participé, lorsqu’elle ne les a pas tout simplement orchestrées.
On ne peut passer sous silence la fermeture de la centrale nucléaire Gentilly-2, les manifestations contre les gaz de schistes, le recours juridique forçant la protection de la rainette faux-grillon de l’Ouest, la campagne #FuturAnticosti qui a mené à la fin de l’exploitation des hydrocarbures sur l’île et au projet de candidature à l’UNESCO, l’abandon du projet Énergie Est et de son terminal pétrolier dans la pouponnière des bélugas et plus récemment, les rejets des projets Laurentia et GNL Québec.
Dans toutes ces mobilisations, Nature Québec a joué un rôle central de coordination.
Sur le front des solutions, l’organisme n’a pas chômé non plus. Ruelles vertes, classes plein-air et oasis urbaines sont autant de projets qui voient le jour avec Milieux de vie en santé, volet urbain de Nature Québec lancé en 2015.
Cette volonté de trouver des solutions aux problématiques environnementales s’invite aussi en agriculture (Fermes Zéro-Carbone), en énergie (promotion de la biomasse forestière résiduelle) et en foresterie (propositions pour une foresterie plus durable).
Nature Québec est également bien présente au chapitre des publications. Outre la diffusion de dizaines de guides destinés aux citoyen-ne-s, elle participe à de vastes chantiers de recherche avec les expert-e-s de ses commissions. Convergence de savoirs scientifiques et autochtones, aires protégées, carcajou, caribous et climat sont matière à une centaine d’études, de mémoires et de fiches.
Tout ça en à peine 10 ans! Grâce aux efforts acharnés de son équipe et de ses militant-e-s, Nature Québec atteint la maturité et consolide sa vocation : sensibiliser, mobiliser et agir.
Et après?
La fin des années 2010 marque un renouveau important à Nature Québec. Virage numérique oblige, l’identité visuelle de l’organisme fait peau neuve, de même que ses outils de communications qui doivent rivaliser pour atteindre un public plus jeune intéressé par l’environnement (on a même ouvert un compte TikTok!).
À la barre, Louise Gratton, biologiste spécialiste en conservation, remplace Michel Bélanger à titre de président en 2017, après 10 ans de loyaux services. En 2019, c’est au tour de Christian Simard de céder sa place à deux jeunes «caribous» : Alice-Anne Simard à la direction générale et Cyril Frazao à la direction exécutive. Leur mandat débutera avec un petit défi nommé COVID-19, relevé haut la main!
Et nous y voilà… Malgré plusieurs intempéries, Nature Québec a réussi à poursuivre sa mission au gré du temps, en bonne partie grâce à ses sympathisant-e-s et ses bénévoles, qui n’ont jamais quitté le navire.
En 40 ans, Nature Québec a été le témoin actif de l’essor d’un mouvement environnemental québécois, aujourd’hui vigoureux, mais aussi confronté à des enjeux de plus en plus graves.
Depuis 1981, nous portons un message : il y a urgence de freiner la perte de biodiversité et de milieux naturels. Le fait que ce message soit encore porté 40 ans plus tard par une jeunesse éco anxieuse est un peu déprimant, mais aussi porteur d’espoir. Il y a une relève et elle veut mener le combat!
Les défis climatiques et écologiques sont immenses, mais nous sommes plus déterminé-e-s et mieux armé-e-s que jamais pour les relever. Loin d’une crise, la quarantaine pour Nature Québec rime avec maturité, crédibilité et mordant. Bref, Nature Québec a 40 ans… Et toutes ses dents!
Continuons 40 ans ensemble!
Faites partie de l’histoire et supportez les multiples campagnes de Nature Québec maintenant!
Crédits
Rédaction : Gabriel Marquis
Révision : Sarah Provencher
Montage : Catherine Bégin
Aide à la recherche d’archives : Sonia Turgeon