Illusions, déceptions… Et nécessaire changement de vision
24 novembre 2021Dans le cadre de son 40e anniversaire, Nature Québec a invité plusieurs anciens collaborateurs-trices et militant-e-s à s’exprimer sur les luttes environnementales qui les ont marqué-e-s et leur perception du rôle de l’organisme dans les batailles passées, mais également les défis futurs.
La parole à Harvey Mead.
– Écologiste, auteur, cofondateur de Nature Québec et président de l’organisme de 1982 à 1989 et de 1994 à 2006.
Nature Québec (Le Front commun québécois des espaces verts et des sites naturels / l’Union québécoise pour la conservation de la nature – l’UQCN – à ses origines) a été fondée pendant une période où des menaces aux forêts du Québec étaient présentes, tant du côté des pratiques forestières que du côté de l’épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette. D’importantes questions se posaient aussi sur la gestion du territoire agricole couvrant une grande partie du sud du Québec, menacé par l’urbanisation croissante autour des grands centres.
La première grande bataille de l’organisme était d’ailleurs d’éviter les impacts de l’autoroute des Grèves en banlieue de Québec (Dufferin Dufferin-Montmorency aujourd’hui), mal conçue en termes de développement urbain et empiétant sur un des meilleurs habitats fauniques de tout le fleuve Saint-Laurent, les battures de Beauport. D’autres milieux humides tels que les marais de Kamouraska et ceux du Lac-Saint-Pierre étaient également sous pression.
Parmi les dossiers qui animèrent Nature Québec dans ses premières années, on compte donc plusieurs enjeux agricoles qui occupèrent la première Assemblée générale, la participation à une série d’audiences publiques sur les enjeux forestiers – dont le dossier numéro 0 au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) qui venait à peine d’être créé – et ce fameux débat sur les battures de Beauport. Je me rappelle d’ailleurs que l’organisme a tenu sa première conférence de presse directement sur le chantier de l’autoroute.
C’est probablement cette bataille qui m’a le plus marqué au fil des ans. L’autoroute était presque inutile. L’accès prévu à l’île d’Orléans (voire à la Rive Sud) ne se réalisa jamais et la colline parlementaire où elle devait aboutir ne pouvait recevoir le flot de véhicules imaginé dans le temps. Trente ans plus tard, pendant mes deux années comme Commissaire au développement durable (2007-2008), on a démoli la partie jamais finie de l’autoroute qui visait à passer sous le Cap Diamant pour rejoindre une autre autoroute sur la rive nord, là où on trouve aujourd’hui la Promenade Samuel-de-Champlain. Au final, la Baie de Beauport, qui a été partiellement épargnée par l’autoroute (avec une grande courbe plutôt que le monstre sur pilotis envisagé), est toujours là. Elle demeure cependant la cible du Port de Québec pour un remblayage qui finirait par accomplir ce qui avait été évité il y a 40 ans.
Interlude pendant les années de militantisme, la publication pendant 15 ans du magazine FrancNord (devenu FrancVert) et son concours de photo La Nature du Québec en images représentent bien le travail de sensibilisation de Nature Québec. Avec cet effort, l’organisme a essayé de rendre son travail plus accessible au grand public, se faisant le promoteur d’une société plus durable.
Malheureusement, l’aventure a pris fin lorsque le magazine Franc-Vert a dû cesser son tirage, faute de moyen. Les 84 numéros du magazine se trouvent aujourd’hui en ligne, sur le site de Nature Québec.
Constat d’échec
C’est en relisant les éditoriaux que j’ai signés pour le magazine Franc-Vert il y a quelques années que j’ai réalisé une sorte d’illusion quant aux progrès réalisés – j’aurais pu les signer aujourd’hui…les problèmes environnementaux restent essentiellement entiers, voire pires.
Autre interlude : Je me rends au Honduras en 1992 après avoir démissionné du ministère de l’Environnement. Assez rapidement, j’obtiens l’accord de Pierre Gosselin (président de Nature Québec après moi) pour lancer une coalition de groupes ciblant les aires protégées du nord du pays. GRAPLA, un groupe plus restreint contrôlé par trois individus, devient REHDES, le Réseau écologique hondurien de développement durable. Celui-ci regroupait cinq organisations et en menait assez large pendant plusieurs années (c’était encore techniquement en place lors d’une visite en 2018). C’était l‘occasion pour Nature Québec de s’impliquer ailleurs qu’au Québec et au Canada, et l’occasion pour moi pendant six ans de mieux comprendre les problématiques environnementales et de conservation sur une échelle internationale. Nature Québec fut d’ailleurs l’un des premiers organismes québécois cherchant à la fois à influencer localement la gestion du territoire par les gouvernements et le privé et à penser dans une perspective planétaire.
Mais voilà…Pendant ce temps, l’augmentation de la population (d’environ 30%) faisait en sorte que les atteintes à l’environnement étaient de plus en plus importantes, ne serait-ce que pour fournir des milieux de vie et de travail pour tout ce monde. Finalement, en dépit de progrès importants dans la gestion du territoire, la simple expansion de la population et la croissance économique qui y était associée ont créé une dégradation importante de l’ensemble des milieux naturels, y compris au Québec.
Cette population a connu son essor – c’était ce qui se passait partout dans les pays riches – grâce à un recours aux énergies fossiles, pour ses usines, pour ses transports et pour presque toute l’activité économique et sociale. En dépit de l’énorme contribution provenant des barrages d’Hydro-Québec (que Nature Québec contestait souvent !), le Québec est devenu lui aussi dépendant d’hydrocarbures importés pour l’ensemble de ses activités.
Et voilà le drame en cause pour toute rétrospective sur le mouvement environnemental. Les sociétés riches, pendant 40 ans, ont tellement exagéré leur recherche de bien-être sans prise en compte des impacts sur la planète que nous nous trouvons aujourd’hui devant l’alerte rouge du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) : il est tout simplement inimaginable que l’humanité échappe à son échec en termes de développement.
Le changement climatique – longtemps sourd, muet et invisible – se prépare à rendre la planète invivable, du moins pour une partie importante de sa population (qui a presque triplé depuis ma naissance).
Quel avenir?
Nous voilà donc devant des années – prévisibles depuis au moins Halte à la croissance, publié en 1972 – où les perturbations dans les sociétés vont être telles que les efforts d’amélioration de la planification et de l’aménagement du territoire – l’objectif que s’est donné Nature Québec – seront plutôt peine perdue.
Les groupes de la société civile comme Nature Québec ne semblent pas reconnaître la gravité de la situation, mais le mouvement environnemental doit désormais rechercher : (i) une vision d’une société beaucoup plus frugale que celle d’aujourd’hui et (ii) travailler auprès de la population pour qu’elle comprenne et accepte la nouvelle situation, que l’on peut qualifier d’effondrement. C’était le but de mon livre Trop Tard : Fin d’un monde et le début d’un nouveau (2017) de contribuer à cet effort.
La clé pour les interventions dans un tel contexte est une expertise dans les problématiques touchant l’énergie. Il s’agit d’un angle mort de l’organisme depuis ses débuts; toute approche à la crise climatique sera associée aux défis relevant de l’utilisation massive d’énergie fossile (plus de 80% de l’énergie consommée actuellement dans le monde).
Cette énergie (en pensant surtout au pétrole conventionnel) amorce un déclin; l’ensemble des sociétés doivent travailler pour en accélérer le déclin, puisque son utilisation est à la source de la crise climatique. L’avenir de l’humanité sera donc fonction de sa capacité de se sevrer de cette source d’énergie. Ce faisant, ce que l’on appelle la décroissance depuis des années sera à l’ordre du jour des sociétés, cela dans un contexte où peut-être les trois quarts de la population humaine vivent dans une pauvreté plus ou moins importante.
Préparer l’avenir n’est plus une question de « transition », que cela soit énergétique ou autre. Le Québec est dans une meilleure situation que la très grande partie des autres sociétés riches, pouvant recourir à une énergie (ne disons pas « propre ») qui ne contribue pas au réchauffement climatique et qui est installée pour des décennies. Un premier objectif d’une nouvelle société sera de constituer un système où le mode de vie ne dépassera pas les capacités énergétiques fournies par notre hydroélectricité.
Un deuxième objectif sera de reconnaître que notre mode de vie et le modèle d’approvisionnement dépendant d’importations seront fortement perturbés, comme durant la pandémie. Sauf que cette fois-ci, ils ne s’en remettront pas.
Continuons 40 ans ensemble!
Faites partie de l’histoire et supportez les multiples campagnes de Nature Québec maintenant!
Crédits
Rédaction : Harvey Mead, écologiste, auteur, cofondateur de Nature Québec et président de l’organisme de 1982 à 1989 et de 1994 à 2006.
Révision : Gabriel Marquis