GES et agriculture : doit-on bannir les tracteurs?

2 novembre 2023

En 2020, le secteur agricole générait grosso-modo 10 % du bilan total d’émissions de gaz à effet de serre (GES) au Québec, soit environ 7,8 mégatonnes d’équivalent CO2 [1]. Or, ce bilan pourrait être grandement amélioré, dépendamment des pratiques que nous mettons en place sur nos terres agricoles. Est-ce à dire qu’on doit se débarrasser des tracteurs et revenir aux chevaux ? Pas tout à fait…

En fait, nos émissions de GES en agriculture proviennent en grande partie des pratiques d’élevage et des usages que nous faisons de la terre. Aussi, revoir ces usages pour y intégrer des « solutions nature » aurait un potentiel de réduction de 37,4 mégatonnes d’équivalent CO2/an au Canada d’ici 2030 [2]. C’est énorme!

photographie d'un tracteur par Sha Ro

C’est quoi, les solutions nature?

Les solutions nature pour le climat (SNC) (nature-based climate solutions en anglais) sont un ensemble d’actions mettant de l’avant les écosystèmes dans la réduction des émissions de GES et l’adaptation aux changements climatiques. Ces solutions s’appliquent tant aux secteurs de l’agriculture, de la gestion des eaux, de la foresterie que de l’aménagement urbain. Contrairement aux technologies et aux infrastructures «grises», elles génèrent plusieurs co-bénéfices pour la biodiversité et les populations humaines.

Voici donc quelques exemples de solutions nature en agriculture qui s’appliquent bien au contexte québécois. Ces solutions captent le carbone, diminuent les GES et favorisent la biodiversité, tout en rendant les fermes plus résilientes aux changements climatiques.

Une question de sols, plus que de tracteurs

Les solutions nature en agriculture, ce n’est pas nouveau, mais il est bon d’en rappeler quelques-unes qui peuvent être mises en œuvre assez facilement dans notre contexte québécois. 

En fait, pour faire simple, ces solutions sont pour la plupart liées au sol : au carbone qu’il peut capter et à son degré de résilience. Plus un sol est en santé, plus il sera résilient. Pour être en bonne santé, il faut qu’il y pousse une diversité de plantes, le plus longtemps possible, et qu’il soit pertubé le moins souvent possible. De cette façon, il captera plus de carbone et relâchera moins de gaz à effet de serre.   

Reste qu’en agriculture, garder le sol en santé nécessite d’adapter nos pratiques et revenir à d’autres qu’on avait laissé de côté. 

En voici quelques-unes.

Conserver les prairies et les plantes fourragères

Photographie de prairie
Photographie par Nadia Chouinard, OptiConseils

Commençons par une pratique moins connue du public : la conservation des prairies ou des plantes fourragères.  Au Québec nous n’avons pas de prairies naturelles comme dans les provinces de l’ouest canadien où le bison était roi. Ici, quand nous parlons de prairie et pâturages, il s’agit de la culture de plantes fourragères pérennes destinées à l’alimentation des vaches, boeufs, moutons, chèvres et chevaux.

Historiquement, le Québec rural était recouvert de ces prairies. L’augmentation des superficies cultivées en grandes cultures (céréales, maïs, soya) et la diminution des élevages de bovins a mené à la réduction des superficies en prairie et pâturage. On parle même d’une diminution d’environ 25% depuis 30 ans [3]. Les prairies, puisqu’elles sont pérennes, peuvent développer un réseau racinaire incroyablement vaste qui permet de capter du carbone en plus de fournir une alimentation de choix à tous les microorganismes du sol, ce qui favorise la captation de carbone.

Cette culture n’est pas seulement bénéfique pour le stockage de carbone, mais aussi pour la biodiversité, notamment pour les oiseaux champêtres et les pollinisateurs. Les prairies et les plantes fourragères sont également utiles pour les agriculteur-trice-s qui les introduisent dans leur rotation puisqu’elles brisent les cycles de maladie, améliorent la structure du sol et favorisent le contrôle des mauvaises herbes. Étonnant ? Ce n’est pourtant plus un secret dans le monde agricole :  les  rendements d’une culture comme le maïs ou le blé sont toujours meilleurs après la culture d’une prairie (cependant pour conserver une partie du carbone, elle ne doit pas être labourée).

Implanter des cultures de couverture

Culture de couverture entre deux rangées de maïs
Photographie par Nadia Chouinard, OptiConseils

L’implantation des cultures de couvertures est une autre solution nature que l’on retrouve en agriculture. Comme il n’est pas toujours simple d’introduire des prairies dans la rotation des cultures, les plantes de couvertures sont de plus en plus intégrées dans les pratiques culturales des agriculteur-trice-s.

Mais de quoi parle-t-on ? Il y a plusieurs types de culture de couverture. Il y a  les cultures intercalaires qui sont semées entre les rangs de la culture principale, par exemple le trèfle et le radis entre les rangs de maïs.  Il y a aussi les cultures en dérobées qui sont semées après la récolte de la culture principale pour couvrir le sol tout l’automne et idéalement l’hiver aussi.  Dans cette catégorie, le seigle d’automne semé après le soya est très populaire. Les cultures de couvertures ont plusieurs utilités, notamment l’amélioration de la santé des sols, la réduction des mauvaises herbes, la diminution du lessivage des fertilisants et la réduction de l’érosion des sols. C’est une pratique gagnante pour les agriculteur-trice-s et l’environnement.  Il y a une infinité de combinaisons et les variétés de plantes offrent plusieurs possibilités. Les cultures de couvertures sont aussi très utilisées dans les systèmes de cultures maraîchères et fruitières.

Pratiquer l’agroforesterie

L’agroforesterie repose sur l’intégration d’arbres et d’arbustes dans les champs agricoles et près de bâtiments de façon à apporter des bénéfices pour les exploitations agricoles (production des cultures), pour l’environnement (captation de carbone et biodiversité), pour les animaux (confort), ainsi que pour la population (adaptation aux changements climatiques). Les pratiques sont vastes et impliquent notamment les cultures en boisé, les haies brise-vent et les bandes riveraines agroforestières. Leurs bénéfices sont en fait si nombreux que nous leur avons consacré un article complet.

Mieux gérer la fertilisation

Un des plus importants GES émis en agriculture est le N2O, l’oxyde nitreux, qui représente 32 % des émissions du secteur agricole[4]. Le N2O est principalement produit lors de l’application d’engrais azotés [5] . La réduction de l’utilisation de ces engrais et l’amélioration de la santé des sols permettent donc de réduire ses émissions. Mais comment utiliser moins d’engrais de synthèses, tout en gardant de bons rendements ?

D’abord, l’implantation des rotations de culture diversifiées et l’utilisation des cultures de couvertures de légumineuses permettent de réduire les besoins en engrais azotés, en plus d’aider à la séquestration du carbone.

Voilà pour ce court aperçu des solutions qui peuvent être mises en œuvre pour réduire les émissions de GES du secteur agricole. Comme on le dit souvent, les solutions les plus simples sont dans la nature! C’est d’ailleurs pourquoi plusieurs techniques qui permettent de cultiver en minimisant l’impact sur l’environnement sont utilisées par les peuples autochtones à travers le monde et se retrouvent dans les techniques d’agroécologie (systèmes alimentaires viables et productifs,  respectueux des humains et des écosystèmes).

Néanmoins, pour permettre à ces pratiques d’être déployées plus largement au Québec, il faudra modifier notre système agroalimentaire de manière à favoriser une production d’aliments diversifiés et sains.  C’est bon pour notre santé, celle des agriculteur-trice-s et pour l’environnement.

Références

[1] Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCCFP). GES 1990-2020 : Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2020 et leur évolution depuis 1990, 2022, Gouvernement du Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, document en ligne, https://www.environnement.gouv.qc.ca/changements/ges/2020/inventaire-ges-1990-2020.pdf

[2] Drever, D. R., Cook-Patton, S. C., Akhter, F., Badious, P. H., Chmura, G. L., Davidson, S. J., et coll. Natural climate solutions for Canada. Sci. Adv. 7, eabd6034 (2021).

[3] Portrait, Constats et Enjeux du Secteur des Plantes Fourragères au Québec Préparé pour le Conseil Québécois des Plantes Fourragères Avril 2010.

[4] MELCCFP, Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serra en 2019 et leur évolution depuis 1990, https://www.environnement.gouv.qc.ca/changements/ges/2019/inventaire1990-2019.pdf

[5] Union nationale des fermiers, Les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole, https://www.nfu.ca/wp-content/uploads/2020/02/GES-du-secteur-agricole.pdf

[6] Laurent Hazard, Claude Monteil, Michel Duru, Laurent Bedoussac, Eric Justes, Jean-Pierre Theau, 2016. Agroécologie : Définition. Dictionnaire d’agroécologie. https://doi.org/10.17180/5a6g-fq51

Rédaction

Rachel Charbonneau, chargée de projets Agriculture, Nature Québec

Révision

Gabriel Marquis, responsable des communications, Nature Québec