Non, le gaz n’est pas une énergie de transition

28 mai 2021
Crédit : Canva

Pour les partisans du gaz, accoler l’expression « énergie de transition» à leur produit est devenu le mantra à la mode pour espérer exploiter le secteur gazier dans un contexte de crise climatique où la transition vers des énergies renouvelables et sobres en carbone est devenue inévitable. À la recherche de solutions « faciles » pour réduire leurs émissions, certains gouvernements sont sensibles à ces chants de sirènes de l’industrie. C’est le cas de celui du Canada et de celui du Québec.

Mais qu’en est-il vraiment ? Le gaz d’origine fossile peut-il être une énergie de transition comme l’affirment entre autres les promoteurs du projet GNL/Gazoduq de la compagnie GNL Québec ?

Le gaz canadien, une source d’énergie non conventionnelle

D’emblée, faut-il le préciser, le gaz dit  «naturel » conventionnel n’est ni renouvelable, ni propre puisqu’il demeure une énergie fossile. Cependant, le bilan du gaz produit de manière croissante au Canada (et ailleurs dans le monde) est bien pire.

Lorsqu’on parle de gaz comme énergie de transition au Canada, il faut savoir qu’on parle de l’exploitation de sources de gaz principalement non conventionnelles, les sources conventionnelles étant quasiment taries. En 2018, les deux tiers de la production de gaz au Canada en était issue. Contrairement au gaz conventionnel, accessible facilement par un simple puits vertical, les gisements de gaz non conventionnels sont emprisonnés dans une roche imperméable – qualifiée de roche-mère – qu’il faut fracturer pour y accéder (comme le schiste). C’est pour cela qu’on parle généralement de «gaz de fracturation». 

Schéma sur la fracturation hydraulique
Source : AQLPA

Communément appelée fracturation hydraulique, cette technique d’exploration et d’exploitation consiste à forer un premier puits vertical pouvant dépasser le 1000 m de profondeur, puis d’opérer à partir de celui-ci un forage horizontal pouvant, lui, aller jusqu’à 3,5 km de long. Une fois le puits creusé, on injecte à très forte pression dans le sol un mélange composé d’eau, de sable et de substances chimiques pour fissurer la roche et libérer le gaz qui y est contenu.

Cette technique, très invasive, a des impacts sérieux sur l’environnement et sur la santé des populations à plusieurs niveaux. Elle peut également être à l’origine de séismes, comme c’est régulièrement le cas en Colombie-Britannique et en Alberta. 

Avant même de parler d’émissions, l’exploitation de la majorité des réserves du gaz disponibles au Canada est donc susceptible d’avoir des conséquences permanentes. Parler d’ « énergie de transition » dans ce contexte est déjà douteux.

Des impacts indéniables sur la santé humaine…

Dans un rapport publié en 2020 et intitulé Une transition fracturée : changements climatiques, santé et fracturation hydraulique, l’Association canadienne des médecins pour l’environnement (ACME), a  relevé une liste inquiétante de préoccupations concernant l’impact de la production de gaz non conventionnel sur la santé des populations : qualité de l’air et de l’eau, effets sur la reproduction humaine, cancers pédiatriques et dangers liés aux risques de séismes.

Par exemple, pour l’eau, lors du processus de fracturation, le cocktail chimique injecté dans le sol comporte de nombreux produits qu’on sait cancérigènes, perturbateurs endocriniens, biocides, allergisants, irritants et neurotoxiques qui peuvent remonter jusqu’aux nappes phréatiques par les fissures de la roche et donc se retrouver dans notre eau que l’on consomme. On se souviendra notamment des images chocs du film Gasland dans lesquelles un habitant résidant près d’un site de fracturation mettait littéralement le feu à l’eau de son robinet en approchant un briquet de celle-ci. À tout cela, il faut également ajouter les impacts irrémédiables qu’auront en soi les changements climatiques sur notre santé et particulièrement sur les populations les plus vulnérables : décès dus aux canicules, maladies chroniques et respiratoires à cause de l’augmentation de la pollution atmosphérique, problématiques de santé mentale, augmentation de maladies transmises par des insectes (maladie de Lyme et virus du Nil occidental), etc.

En somme, la liste des risques pour la santé humaine et la sécurité paraît un peu longue pour une « énergie de transition » dont on devrait de toute façon se défaire à court ou moyen terme.

… sur l’eau

Outre l’impact des produits chimiques et des méthodes de forage sur la santé de la population, il existe un autre enjeu lié à l’eau qui devrait nous décourager de choisir le gaz comme énergie de transition : la surexploitation des ressources hydriques qui accompagne sa production non-conventionnelle. Un puits peut à lui seul nécessiter l’utilisation de 21 000 m3 d’eau. Cet usage démesuré entre directement en compétition avec les besoins des communautés locales (accès à l’eau potable, usages agricoles, etc.). Dans un contexte de hausse anticipée des températures estivales où certaines régions vont subir des épisodes de sécheresse plus fréquents, cette compétition entre les différents usages peut devenir hautement problématique, au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde.

Puit de gaz de schiste

… sur les émissions de gaz à effet de serre

Les tenants de la théorie du gaz comme énergie de transition avancent l’idée que ce dernier est moins polluant que les autres hydrocarbures (charbon et pétrole). Or, le gaz fossile est constitué principalement de méthane, un gaz à effet de serre 87 fois plus puissant que le CO2 sur ses vingt premières années de présence dans l’atmosphère. Ce chiffre s’amenuise ensuite, mais demeure toutefois de 36 fois supérieur au CO2 sur un horizon de 100 ans. Dans le jargon scientifique, c’est ce qu’on appelle le potentiel de réchauffement planétaire (PRP). Au vu de la fenêtre de temps que nous avons pour agir au niveau des changements climatiques (avant 2050), il est donc essentiel de considérer la valeur du PRP du méthane sur son horizon de 20 ans dans les calculs.

En outre, l’argument du gaz comme énergie de transition n’est valide qu’à condition de ne considérer que le moment de sa combustion. Pourtant, les émissions de méthane dans l’atmosphère ont lieu sur l’ensemble du cycle de vie, de l’exploration des gisements jusqu’à la fermeture des puits, en passant par sa production, son transport et sa combustion. Pour le secteur gazier non conventionnel, en général, on parle d’émissions fugitives qui ont lieu à tous les stades d’activité et dont les taux sont estimés entre 3,6% et 7,9% du volume total de la production. Or, selon la même étude, on évalue qu’il faudrait que le taux d’émissions fugitives du cycle de vie du méthane se situe dans une fourchette entre 2,4% et 3,2% pour qu’il représente un avantage par rapport au charbon dans la production d’électricité.

Ceci dit, le bilan du gaz non conventionnel est probablement pire. Une étude récente tend à montrer qu’on sous-estime grandement les émissions de méthane issues des puits de forage abandonnés des secteurs pétrolier et gazier au Canada et aux États-Unis. Par exemple, au Québec, on recense 775 puits gaziers et pétroliers abandonnés dont 45 présentent des fuites de méthane et génèrent des contaminations du sol et de l’eau. Il est en outre sidérant d’apprendre que 241 de ces puits sont considérés comme «non localisables».

Les émissions « cachées » du gaz fossile sont le talon d’achille de l’argumentaire justifiant son utilisation comme énergie de transition. Ce n’est pas surprenant si l’industrie emploie une armée de lobbyistes pour convaincre les décideurs du contraire.

Des gouvernements ouverts au soutien de la filière

Malgré ces éléments qui montrent clairement que le gaz fossile ne peut être considéré comme une énergie de transition, on assiste à l’heure actuelle à une véritable offensive de cette industrie en Amérique du Nord pour se placer stratégiquement sur les marchés de gaz naturel liquéfié (GNL). Le Canada ne fait pas exception, le gouvernement fédéral étant particulièrement ouvert à aider financièrement la filière. Pour preuve, les 275 millions accordés en 2019 au projet LNG Canada en Colombie-Britannique et ce, en sus d’avantages déjà consentis par la province : une exemption complète de toute imposition sur le revenu ainsi qu’une exemption de taxes de vente provinciales lors de la construction.

Autre projet de GNL à surveiller, celui de Goldboro LNG, au sujet duquel on apprenait récemment que l’entreprise albertaine Pieridae Energy demande un financement de 975 millions au fédéral afin d’acheminer 10 millions de tonnes de gaz de fracturation albertain vers l’Allemagne via un gazoduc dans le sud du Québec et une usine de liquéfaction en Nouvelle-Écosse. Mécontente que cette information ait été rendue publique, la compagnie tente actuellement d’intimider l’organisme gaspésien Environnement Vert Plus et d’autres citoyens qui ont alerté l’opinion publique à ce sujet. Ce projet semble aussi s’inscrire dans un partenariat stratégique que le gouvernement canadien a signé avec l’Allemagne en mars dernier afin de devenir un de ses fournisseurs énergétiques en hydrogène vert. Toutefois, lors de l’annonce, le ministre des ressources naturelles Seamus O’Regan a aussi qualifié le GNL d’«énergie de transition» pouvant servir de «pont» vers les énergies renouvelables.

Au Québec, le premier ministre François Legault a rencontré à plusieurs reprises les représentants de GNL Québec et a par la suite affirmé régulièrement que le projet GNL Québec allait «aider la planète» à réduire ses émissions de GES alors même qu’aucune évaluation environnementale n’avait débuté. Depuis, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a déposé son rapport et les résultats sont sans appel : le projet provoquerait une hausse des émissions de GES et risquerait de ralentir la transition énergétique.

Intensification des pressions de l’industrie et législation en danger

Crédit : canva

En 2018, le gouvernement du Québec s’est doté d’une nouvelle loi pour encadrer l’exploitation des hydrocarbures. Celle-ci ne vient interdire la fracturation hydraulique que dans la roche-mère de type schiste, ce qui protège la vallée du Saint-Laurent de ce type d’exploitation. Par contre, d’autres régions restent à risque. C’est le cas du Bas-Saint-Laurent ou de la Gaspésie.  Autre nuance importante : la législation laisse la porte entrouverte à d’éventuels projets pilotes. C’est pourquoi, en ce moment même, l’entreprise Ressources Utica qui possède des claims dans la région de Bécancour, entame des représentations auprès du gouvernement provincial pour des projets qu’elle qualifie de «carboneutres».

Outre une intensification du lobbyisme, plusieurs entreprises usent actuellement de recours juridiques pour obtenir des compensations financières ou faire reculer la législation québécoise quant à la fracturation hydraulique, qu’il s’agisse de pétrole ou de gaz.  L’entreprise albertaine Pieridae Energy (la même qui est derrière le projet Goldboro LNG) poursuit le gouvernement du Québec pour 32 millions de dollars de dédommagement. Pourquoi ? La promulgation de la Loi sur les hydrocarbures a forcé l’arrêt de son projet Haldimand dans la baie de Gaspé en interdisant toute exploration et exploitation dans un périmètre urbanisé. Gaspé Énergie conteste quant à elle le refus du gouvernement du Québec de lui accorder un permis de forage situé à moins de 1000 m d’un milieu hydrique tandis que Questerre, une autre entreprise albertaine, conteste l’interdiction de fracturation hydraulique dans la vallée du Saint-Laurent.

Aujourd’hui, une quinzaine d’entreprises ont encore des permis d’exploration au Québec sur un total de 32 000 km2 de territoire. Si l’un des recours obtenait gain de cause, cela ouvrirait donc un précédent dangereux dans lequel pourrait s’engouffrer le reste de l’industrie pour faire reculer la législation québécoise pourtant obtenue de peine et de misère après des années de combats menés par la société civile québécoise.

Si une énergie de transition doit être utilisée au maximum quelques années, on peut douter qu’avec une telle éthique, le secteur gazier se laissera fermer le tuyau facilement le temps venu.

Un pari économique de plus en plus risqué

Récemment, Bloomberg titrait « Le gaz est le nouveau charbon avec un risque de 100 milliards de dollars d’actifs échoués ». Dans un contexte de rehaussement des ambitions climatiques des États, les investisseurs et les institutions publiques tournent de plus en plus le dos à cette énergie.  La firme Poten & Partners prévoit d’ailleurs maintenant une diminution de 11% de la demande européenne en GNL d’ici 2030, une des raisons invoquées étant l’augmentation graduelle des coûts du carbone en lien avec les politiques de lutte aux changements climatiques des différents pays.

Même l’Agence internationale de l’énergie (AIE), pourtant très conservatrice jusqu’à présent dans ses prédictions, affirme dans sa dernière feuille de route qu’il faut renoncer à tout nouvel investissement dans de nouveaux projets d’approvisionnement en combustibles fossiles incluant le gaz afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Concrètement, cela veut dire une réduction d’au moins 55% de l’utilisation du gaz dans le mix énergétique mondial d’ici 2050.

La fenêtre pour le développement du marché du gaz se réduit donc comme une peau de chagrin à mesure que les actions pour faire face à la crise climatique se déploient… Et avec elle, l’argument de l’« énergie de transition».

Restons mobilisé-e-s!

La crise climatique est en cours. Pourtant, l’exploitation des énergies fossiles -en particulier du gaz- est l’éléphant dans la pièce de toutes les politiques climatiques de nos gouvernements. C’est pourquoi nous devons demeurer mobilisé-e-s contre des projets comme GNL Québec/Gazoduq et Goldboro et rester vigilant-e-s pour que l’exploitation des énergies fossiles ne reprenne jamais au Québec.

Anne-Céline Guyon

Anne-Céline Guyon

Chargée de projet Climat

anne-celine.guyon@naturequebec.org
581 989-0815

Crédits

Rédaction : Anne-Céline Guyon

Révision :  Gabriel Marquis

Sources

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1488316/fracturation-hydraulique-gaz-tremblement-terre-alberta

https://cape.ca/wp-content/uploads/2020/01/CAPE-Fracking-Bkg-FR.pdf

https://rochemere.blogspot.com/2016/03/facteurs-de-rechauffement-climatique.html

https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/ese3.35

https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2021-01-21/puits-d-hydrocarbures-abandonnes/les-emissions-annuelles-de-methane-largement-sous-estimees-selon-une-etude.php

https://www.ledevoir.com/societe/environnement/599791/le-quebec-compte-775-puits-petroliers-et-gaziers-abandonnes-dont-209-introuvables

https://www.journaldemontreal.com/2021/03/22/une-gaziere-demande-pres-dun-milliard–daide-a-ottawa

https://www.cqde.org/fr/nouvelles/communique-menace-dintimidation-dune-compagnie-petroliere-le-cqde-denonce-une-tentative-de-baillon/

https://www.cbc.ca/news/politics/canada-germany-energy-transition-1.5951584

https://www.ledevoir.com/societe/environnement/597503/gnl-quebec-risque-de-freiner-la-transition-energetique-conclut-le-bape

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1785006/gaz-schiste-becancour-utica-moratoire-fracturation-environnement?fbclid=IwAR1XdWkOHZm5AIPcKIeeId2dl8ls_q74U38aKValSNoac38rkHhaXztVIWg

https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-04-17/gas-is-the-new-coal-with-risk-of-100-billion-in-stra

https://www.montelnews.com/fr/story/european-lng-demand-to-fall-11-this-decade–poten/1202453

https://www.iea.org/reports/net-zero-by-2050

https://naturequebec.org/campagnes/non-gnl-quebec/

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