Finalement, une bonne ou une bad COP la COP15?

20 décembre 2022

Ça y est : la COP15 sur la biodiversité de Montréal vient d’aboutir à un nouveau cadre mondial qui doit permettre de freiner le déclin de la biodiversité d’ici 2030 et permettre à l’humain de vivre en harmonie avec la nature d’ici 2050. Ça semble ambitieux ? Certains qualifient déjà cet Accord Kunming-Montréal, arraché au petit matin, de moment historique, comparable à l’Accord de Paris sur le climat. Qu’en est-il du point de vue de nos analystes?

Au début de cette COP, nous avions écrit un article énonçant des critères pour nous aider à déterminer si nous aurions affaire à une « bonne COP » ou une « mauvaise COP ». Après 12 jours la tête passée dans les négociations, notre équipe fait le point afin de faire ressortir les avancées (et les occasions manquées) à l’échelle internationale, mais également du Québec et du Canada.

Bonne lecture !

Légende

Pour simplifier la lecture, nous avons attribué une cote de couleur relative au degré d’ambition des annonces et des cibles du cadre mondial selon notre analyse.

🟢 Bon
🟡 Acceptable
🔴 Raté

1. Le niveau d’ambition global

Le premier critère et non le moindre : le niveau d’ambition du nouveau cadre mondial et des annonces faites en marge des négociations par le Québec et le Canada. Est-il suffisant pour arrêter et inverser le déclin de la biodiversité ? Est-ce que la cible proposée de protéger au moins 30 % des milieux terrestres et marins d’ici 2030 est entérinée ? Quelle est la place des aires protégées, des peuples autochtones, de la restauration dans le nouveau cadre ? Voici les faits saillants.

À L’INTERNATIONAL

La cible 30 x 30 conservée 🟢

photo du Marais du nord par Mélanie Jean
Photo du Marais du nord par Mélanie Jean

La fameuse cible de 30 % a été entérinée par les parties et c’est un pas important pour l’avenir du vivant. D’ici 2030, tous les pays devront en effet protéger au moins 30 % de leurs milieux terrestres, côtiers, d’eau douce et marins (cible 30 x 30). La protection pourra se faire par la création d’aires protégées ou d’aires conservées (incluant les autres mesures de conservation efficaces par zone). 

Dans cette cible, on mentionne la reconnaissance des territoires autochtones et traditionnels (nous saluons d’ailleurs l’inclusion des droits des communautés autochtones dans plusieurs des cibles du cadre mondial). On y mentionne également que toute utilisation durable qui y est faite doit être en conformité avec les objectifs de conservation de la biodiversité. 

En bref, nous reconnaissons que cette cible est un premier pas important, mais elle ne constitue pas une finalité. De plus, nous sommes d’avis qu’il faudra utiliser tous les outils de conservation à notre disposition pour obtenir des gains additionnels et concrets pour la biodiversité, tout en améliorant nos mécanismes de suivi et de gestion des aires protégées et conservées. Il faudra également prioriser les zones les plus importantes d’un point de la biodiversité, notamment pour les espèces en situation précaire.

Des questions sur le 70 % restant 🟡

L’objectif 30 x 30 est important pour la biodiversité, mais il est essentiel d’agir au-delà des territoires officiellement protégés. On doit donc mettre un frein au changement d’utilisation des terres et des mers, qui reste une des causes directes majeures de la perte de biodiversité dans le monde. En ce sens, la prise en compte de la biodiversité dans la planification territoriale (cible 1 du cadre mondial) et la gestion durable des pêcheries, des territoires forestiers et agricoles (cible 10) sont cruciaux. Bien que la cible 10 mentionne l’agroécologie comme solution, elle manque de précision quant à la bonne façon de parvenir à une gestion durable des territoires agricoles et ouvre la porte à beaucoup d’interprétations.

Concernant la pollution, la cible 7 prévoit la réduction des risques liés à l’utilisation  des pesticides de moitié, ainsi que des engrais chimiques puisqu’ils sont responsables de la contamination des sols et des cours d’eau. Comme réduire les risques ne veut pas nécessairement dire réduire l’utilisation, nous jugeons que cette cible pourrait être plus ambitieuse.

« Le compte à rebours est commencé pour l’atteinte d’au moins 30 % de protection d’ici 2030. Dans cette course, il ne faut pas perdre de vue l’objectif réel de cette cible; obtenir des gains concrets pour la biodiversité. On ne doit pas tomber dans le piège de viser l’atteinte d’un chiffre à tout prix, mais bien penser qualité et additionnalité. On doit aussi agir sur le 70 % non protégé. »

– Emmanuelle Vallières-Léveillé, coordonnatrice Biodiversité et Forêt

Restauration d’au moins 30 % des écosystèmes dégradés 🟢

Jusqu’à la toute fin, nous ne savions pas si le cadre mondial allait retenir une cible de restauration de 20 % ou de 30 % des écosystèmes dégradés. Nous avons été agréablement surpris de constater que d’ici à 2030, au moins 30 % des écosystèmes dégradés de la planète devront faire l’objet d’une restauration efficace. Bien que nous ayons un objectif de 30 %, la cible ne mentionne pas un nombre d’hectares global minimal à restaurer par année, comme cela avait été suggéré par certains. 

Il est fort pertinent d’avoir une cible ambitieuse de restauration. En effet, bien que la protection des terres soit la priorité, il y a beaucoup de territoires qui ont déjà été dégradés par les activités humaines. Nous devons nous assurer que la restauration réalisée soit effective et qu’elle favorise, telle que mentionné dans la cible, le renforcement des fonctions et services écosystémiques, la connectivité, l’intégrité écologique et bien évidemment la biodiversité. Un travail de priorisation des milieux à restaurer devra être fait afin d’obtenir le plus de gains possible d’ici 2030.

« Il est important d’utiliser les différents outils qui s’offrent à nous afin d’atteindre de réels gains pour la biodiversité. La cible de 30 % de protection et celle de 30 % de restauration sont complémentaires et doivent être réalisées avec les meilleurs standards possibles pour obtenir une protection et une restauration efficaces qui visent à arrêter et inverser le déclin de la biodiversité. Beaucoup reste à faire et il faut commencer dès demain. »

Audrey-Jade Bérubé, Chargée de projet Aires protégées et Forêts

Des gouvernements infranationaux et les villes impliqués 🟢

Le rôle des gouvernements de proximité dans la protection de la biodiversité a été unanimement reconnu lors du 7e sommet des gouvernements infranationaux et des villes tenu en marge de la COP. Leur place autour de la table des négociations a été jugée essentielle pour intégrer la biodiversité dans la planification territoriale (cible 1). Les gouvernements infranationaux et locaux ont été conséquemment ajoutés pour la mise en place d’actions urgentes et transformatrices dans le texte final.

Le cadre reconnaît aussi le rôle et l’importance de la biodiversité en milieux urbains/densifiés, ce qui devrait nous inciter à redoubler d’ambition pour protéger les populations des différents stresseurs écologiques à l’échelle des municipalités.

La santé et la biodiversité 🟡

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On fait maintenant mention de la santé, qui adopte une approche « une seule santé ». Cependant malgré les liens souvent évoqués entre le déclin de la biodiversité et la santé humaine en temps de pandémie, très peu de mentions explicites de la santé ont été mises de l’avant dans le cadre final. En effet, quelques autres objectifs auraient eu un impact direct sur la santé humaine, comme l’objectif 7 : « Réduire, d’ici à 2030, les risques de pollution et l’impact négatif de la pollution de toutes origines à des niveaux qui ne nuisent pas à la biodiversité ni aux fonctions et services des écosystèmes ». Alors que le texte initial proposait de reconnaître explicitement les impacts de la pollution sur la santé humaine, cette formulation n’a malheureusement pas été retenue.

QUÉBEC ET CANADA

Annonces de financement au Québec et au Canada 🟡

Tout au long de la COP15, le Canada a multiplié les annonces afin de financer des initiatives de conservation à l’échelle du pays. En tout, c’est plus d’un milliard de dollars qui ont été annoncés par le gouvernement fédéral. On y retrouve par exemple : 

  • Un investissement de 227,5 millions de dollars pour la restauration des écosystèmes aquatiques, de même que le financement de la recherche scientifique dans ce domaine, la sensibilisation, et la gestion de ces milieux.
  • Jusqu’à 800 millions de dollars pour financer quatre grands projets de conservation dans le nord du pays, en collaboration avec les peuples autochtones. 
  • Le financement de 90 millions de dollars pour la conservation de terres écosensibles en milieu privé, grâce à la poursuite du Programme de conservation du patrimoine naturel.

Au Québec, le financement pour atteindre les objectifs du cadre mondial pour la biodiversité passera essentiellement par deux fonds, soit : 

  • Le Plan Nature 2030, qui prévoit un montant total de 650 millions de dollars pour atteindre la cible de 30 x 30 entérinée dans le nouveau cadre mondial. Au courant des quatre prochaines années, le financement sera octroyé en fonction des axes suivants : l’accès à la nature, les menaces qui pèsent sur la biodiversité, les espèces menacées et vulnérables et le leadership autochtone.
  • Le Fonds bleu, promesse électorale que le gouvernement Legault a réitérée pendant la COP15, et qui prévoit elle aussi 650 millions de dollars pour mieux protéger les lacs et les rivières.

Nouvelles aires protégées au Québec : occasion manquée  🔴

Puisque le Québec était hôte de la 15e conférence des parties, nous avions espoir que certaines aires protégées se concrétisent en marge de l’événement. Après tout, près d’une soixantaine de territoires mis de côté en 2020 attendent toujours une protection aujourd’hui, dont l’aire protégée des Vallières de Saint-Réal dans l’habitat du caribou montagnard de la Gaspésie. Nous attendions également avec fébrilité l’annonce de l’agrandissement du parc marin Saguenay-Saint-Laurent, de façon à y intégrer tout l’habitat essentiel de la population de bélugas du Saint-Laurent. Ces annonces ne sont malheureusement jamais venues. Et pourtant l’ouverture du fédéral à présenter des annonces en collaboration avec le Québec était sur la table. 

La protection dans le sud du Québec sera néanmoins bonifiée grâce au Plan Nature 2030, duquel 200 millions de dollars seront consacrés à la protection dans le sud du Québec, notamment en terres privées. De leur côté, les organismes de conservation demandaient un soutien de 750 millions de dollars pour la conservation en terres privées, dont un montant de 300 millions de dollars provenant du provincial et le même montant du fédéral.

Rôle du Canada dans le bon déroulement des négos 🟢

Le rôle du Canada, et particulièrement la collaboration entre le Canada et la Chine, semble avoir été particulièrement apprécié lors de cette COP. Toutefois, le Canada a parfois contribué à freiner l’avancement des négociations pour certains des enjeux clés, notamment au niveau du mécanisme d’aide financière à l’international ou de la réduction de l’empreinte des régimes alimentaires et du gaspillage.

L’Engagement de Montréal / l’adoption de la cible 30 x 30 par la CMM 🟢

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La ville de Montréal a invité les villes du monde entier à signer « l’Engagement de Montréal ». Au terme du Sommet des gouvernements infranationaux et des villes, 47 villes à travers le monde y avaient apposé leur nom. L’Engagement est constitué de 15 actions qui répondent assez bien à l’ensemble des causes directes qui peuvent être adressées par les municipalités locales, comme la conservation des milieux naturels existants, l’augmentation des espaces verts et bleus, l’endiguement ou l’éradication des espèces exotiques envahissantes, la conservation et le rétablissement d’espèces vulnérables. Sa mise en œuvre  profitera du « Pacte de Berlin », pour que des cibles précises soient définies. Cependant, les villes sont invitées à signer l’Engagement sur une base volontaire, ce qui le rend d’autant moins contraignant. 

Notons également que la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) s’est engagée à suivre la cible de 30 % de protection de son territoire d’ici 2030. La CMM entend créer un réseau de parcs métropolitains avec ses partenaires municipaux, notamment grâce à l’acquisition et à la reconversion de terrains de golf, de façon à favoriser l’accessibilité aux espaces verts pour la population à l’échelle de la région. D’ici 2030, ce réseau de parcs pourrait recenser plus de 14 000 hectares, soit 37 fois la superficie du parc du Mont-Royal.

Capacité des villes à freiner le déclin de la biodiversité 🔴

Dans le cadre du Sommet des gouvernements infranationaux et des villes, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a réitéré le besoin de financement qu’ont les villes pour mettre en œuvre des mesures afin de freiner le déclin de la biodiversité. Malheureusement, aucune réforme au niveau du mode de financement des villes et de la fiscalité municipale n’a été annoncée par le gouvernement dans le cadre de la COP15. Aucune annonce concrète également concernant une possible réforme de la Loi sur l’expropriation, ni du côté du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation en attendant la livraison du plan de mise en œuvre de la Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire au printemps 2023.

« Québec a manqué une belle opportunité d’annoncer des actions concrètes donnant plus de capacité aux villes pour freiner le déclin du vivant. Bien que les villes soient de plus en plus proactives, elles ont la responsabilité de mettre immédiatement en place des règlements et mesures écofiscales efficaces pour contrer la crise de la biodiversité et sortir de la dépendance à la taxe foncière. Mais pour cela, le gouvernement doit moderniser certains outils législatifs comme la Loi sur l’expropriation pour leur permettre de passer à l’action efficacement. » 

Hubert Fortin, Chargé de projet en verdissement et design urbain

2. Équité et inclusion

En écho aux nombreuses critiques de peuples autochtones et de communautés locales, le nouveau cadre mondial se devait de soutenir et promouvoir le respect des droits humains. Il devait également assurer de fournir une aide aux pays en développement pour l’atteinte des objectifs de conservation et reconnaître des principes tels que l’équité intergénérationnelle. On espérait par ailleurs que ces principes percolent dans les annonces du Québec et du Canada, en tant qu’hôtes de la COP.  Mission accomplie?

À L’INTERNATIONAL

Les droits humains et les droits des peuples autochtones mieux reconnus 🟢

Dans sa version finale, le cadre mondial sur la biodiversité présente de grandes avancées concernant les droits humains. D’abord, on y retrouve deux nouvelles cibles (22 et 23) qui portent sur l’inclusion des genres, des femmes et des filles, des jeunes, des personnes à capacités réduites, des peuples autochtones et des communautés locales dans les décisions et la mise en œuvre du cadre lui-même.

Ensuite, le préambule du texte reconnaît plusieurs concepts, dont l’équité intergénérationnelle et la nécessité d’une éducation, formelle et informelle, qui soit transformatrice, innovante et transdisciplinaire. Ces gains ont été réalisés grâce au Réseau mondial des jeunes pour la biodiversité. 

Le préambule fait également référence aux droits des peuples autochtones et des communautés locales, la reconnaissance de leurs savoirs et des différents systèmes de valeurs qu’ils portent. Le texte affirme du même coup que ces différents systèmes de valeurs font partie intégrante de la réussite de la mise en œuvre du cadre mondial.

Aide financière aux pays en développement 🟡

Alors que dès le début de cette COP, le financement de la mise en œuvre du cadre mondial a été un des enjeux cruciaux, c’est particulièrement la part que prendrait l’aide financière aux pays en développement qui a échauffé les esprits lors des discussions sur la mobilisation des ressources. Tandis que certains réclamaient la création d’un Fonds spécial pour la biodiversité, d’autres étaient en faveur d’une augmentation des versements au Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et d’une amélioration du mécanisme de redistribution. 

Finalement, les parties se sont entendues pour mobiliser, dans un Fonds dédié, 200 milliards de dollars US par année d’ici 2030, parmi lesquels les pays développés se sont engagés à fournir 30 milliards de dollars US pour les efforts en matière de biodiversité dans les pays en développement, à travers l’aide publique au développement. 

Fait à noter, dès la cérémonie d’ouverture, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique Steven Guilbeault y est allé d’une annonce phare pour donner le ton et signifier ses intentions : le Canada va octroyer une aide financière de 350 millions de dollars afin de soutenir les pays en développement pour la mise en œuvre du nouveau cadre mondial. Le 16 décembre, un montant supplémentaire de 255 millions de dollars a été ajouté portant le total à 605 millions de dollars. Toutefois, selon certaines organisations, la part du Canada en vertu du principe de responsabilité commune, mais différenciée s’élèverait plutôt à un milliard de dollars. D’ailleurs, certains pays en développement ont mentionné leur insatisfaction face au texte final de l’accord en raison du financement (cible 19) qui, selon eux, n’est pas suffisamment élevé.

QUÉBEC ET CANADA

Support au leadership autochtone en matière de conservation 🟡

En marge de la COP15, le Canada a annoncé le lancement du nouveau Réseau des gardiens des Premières Nations. Ce réseau permettra d’établir des liens entre les différentes initiatives autochtones du pays, permettant ainsi aux gardiens de renforcer mutuellement leurs capacités et d’accroître leur autodétermination. Soulignons par ailleurs que parmi les nombreuses annonces de financement du fédéral pour soutenir des mesures de conservation, plusieurs visent des initiatives portées par des communautés autochtones partout au pays.

Parmi celle-ci, un soutien financier à la hauteur de 1 million de dollars sur quatre ans pour le Conseil de la Nation Anishnabe de Lac Simon, en Abitibi-Témiscamingue, afin que ce dernier puisse préparer et présenter une demande d’aire protégée d’utilisation durable au gouvernement québécois. 

Au Québec, le financement pour soutenir le leadership autochtone en conservation proviendra du Plan Nature 2030, qui prévoit 23 millions de dollars pour appuyer des initiatives autochtones.

Nous ne pouvons que saluer ces annonces ! En effet, nous sommes d’avis que les peuples autochtones doivent enfin faire partie intégrante de l’approche québécoise et canadienne en matière de protection de la biodiversité. Maintenant que les enveloppes sont disponibles, il n’y a plus de raisons d’attendre l’officialisation de projets comme la création de l’aire protégée Pipmuacan, portée par les Innus de Pessamit.

« Bien qu’appuyer le leadership autochtone en matière de conservation de la biodiversité soit un axe du nouveau Plan Nature 2030 du gouvernement du Québec, la COP15 aurait dû être l’occasion d’officialiser le projet d’aire protégée du Pipmuacan, porté par le Conseil des Innus de Pessamit. » 

Marie-Audrey Nadeau-Fortin, Chargée de projet Biodiversité et Forêt

3. Protection des espèces menacées

Plus d’un million d’espèces sont menacées à l’échelle mondiale, dont plusieurs au Québec et au Canada qui demeurent en attente d’une protection légale, parfois depuis plus de 10 ans. Par ailleurs, même lorsqu’elles sont protégées, des espèces comme les caribous forestiers et montagnards poursuivent leur déclin, faute de mesures efficaces. À la COP15, il y avait donc un fort appétit des organisations environnementales pour de nouvelles annonces afin de protéger les espèces… et nous sommes globalement restés sur notre faim.

À L’INTERNATIONAL

Une cible acceptable 🟡

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La cible 4 du cadre mondial vise la mise en place d’actions de gestion urgentes afin de « mettre un terme à l’extinction d’origine humaine d’espèces menacées connues », « favoriser la reconstitution et la conservation des espèces, en particulier des espèces menacées », « réduire considérablement le risque d’extinction » et « maintenir et restaurer la diversité génétique […], notamment par des pratiques de conservation et de gestion durable in situ et ex-situ […] ». Dans cette version finale de la cible 4, on ne retrouve plus les éléments problématiques qui s’y retrouvaient dans la version initiale. Même si elle n’est pas chiffrée, cette cible peut donc être jugée ambitieuse pour autant que les États s’y affairent… Et c’est là que le bât blesse.

QUÉBEC ET CANADA

Décevante absence des caribous 🔴

Crédit photo : Jean-Simon Bégin
Crédit photo : Jean-Simon Bégin

Dès le début de la COP, le gouvernement du Québec a annoncé qu’il ne ferait pas d’annonce pour la protection du caribou au courant des prochaines semaines. Le ministre souhaite « prendre le temps de bien faire les choses et de soumettre des propositions d’actions à la consultation d’acteurs de tous les horizons ». Pourtant, une consultation a déjà été menée au printemps dernier, et une tournée régionale a eu lieu en 2019. Le caribou est l’emblème de notre biodiversité. Les causes et les solutions pour son rétablissement sont très bien connues, et elles sont discutées sur la place publique depuis des années. Il était donc naturel de s’attendre à une annonce en marge de la COP15. Il s’agit d’une occasion manquée d’annoncer des mesures qui auraient permis de protéger le caribou, promouvoir le leadership autochtone et accompagner les communautés forestières affectées. L’un des messages de cette COP était pourtant de protéger la biodiversité en ne laissant personne derrière.

« La COP15 est une occasion manquée pour le caribou au Québec. Sans surprise, face à l’urgence d’agir, le gouvernement provincial a déclaré qu’il souhaitait « prendre son temps » et lancer d’autres consultations, faisant ainsi la sourde oreille aux recommandations des scientifiques, des Premiers Peuples et de la Commission indépendante qu’il a lui-même commandée. C’est le jour de la marmotte; à quand le jour du Caribou ? »

– Marianne Caouette, Chargée de projet Biodiversité et Forêt

Occasion manquée pour renforcer la protection réglementaire des espèces menacées et vulnérables 🟡

Bien que le gouvernement du Québec ait récemment ajouté de nouvelles espèces fauniques et floristiques à la liste des espèces menacées ou vulnérables, telles que la chauve-souris nordique, la couleuvre brune et le martinet ramoneur qui sont maintenant désignés comme menacés, cela ne se traduit pas automatiquement en bonification de leur protection. Une des raisons qui l’explique est que le Règlement sur les habitats fauniques comporte plusieurs failles. Parmi elles, on retrouve l’absence de protection des habitats fauniques en terres privées, ainsi qu’une protection moins grande de l’habitat du caribou de la Gaspésie. De plus, lors de la mise à jour de la liste, le gouvernement du Québec a omis d’y inscrire plusieurs espèces d’importance que l’on sait être menacées, notamment le caribou migrateur, qui est considéré comme étant « en voie de disparition » par le COSEPAC.

4. Climat et biodiversité

Autant la protection des écosystèmes qui stockent le carbone est un moyen de lutte efficace contre les changements climatiques, autant lutter contre les changements climatiques en protégeant les milieux naturels est bénéfique pour la biodiversité. La COP15 était une occasion de faire le pont entre les deux grandes crises qui secouent notre époque et d’en finir avec les approches en silo. Pari tenu ?

À L’INTERNATIONAL

Une plus grande place aux solutions nature, mais… 🟡

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Le lien entre la crise climatique et celle de la biodiversité a été discuté à différentes occasions durant la COP notamment à travers les négociations autour de la cible 8. Les changements climatiques étant l’une des cinq causes directes de la perte de la biodiversité, les parties se sont interrogées sur le type de solutions à mettre en œuvre pour en réduire les impacts. C’est ainsi que les solutions fondées sur la nature y ont été identifiées, tout comme les approches basées sur les services écosystémiques. Ceci dit, les discussions autour des solutions basées sur la nature ont été ardues. Les risques d’écoblanchiment associés à ces dernières sont élevés et de nombreux peuples autochtones, communautés locales et populations du sud rejettent le concept en bloc. En effet, on craint que les solutions basées sur la nature soient utilisées seulement dans une perspective de compensation carbone au détriment de la biodiversité. Ce serait notamment le cas en choisissant de planter des arbres à haut potentiel de captation, mais en simple monoculture. Ces solutions sont également mentionnées à la cible 11 sur la restauration des différents écosystèmes, dont ceux altérés par des activités telles que l’agriculture et la foresterie. En conclusion, on peut dire que si ces solutions font partie du cadre mondial, il faudra tout de même s’assurer qu’elles incluent les premiers peuples, les populations locales et qu’elles ne servent pas à compenser pour l’émission de carbone par l’industrie dans leur mise en œuvre.

QUÉBEC ET CANADA

Voyant orange pour l’exploitation minière 🔴

Durant la COP, le gouvernement du Canada a réitéré son intention de devenir un chef de file dans l’exploitation « responsable » de minéraux stratégiques en vue de la transition énergétique. Le 11 décembre dernier, le ministre des Ressources naturelles du Canada annonçait une alliance avec plusieurs pays afin de « favoriser, à l’échelle mondiale, l’adoption de pratiques d’exploitation minière, de traitement et de recyclage durables et socialement inclusives et responsables, de même que le recours à des chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques responsables ». Toutefois, cette intention, qui semble louable à première vue, risque d’avoir des répercussions majeures sur l’atteinte des objectifs de protection de la biodiversité. D’une part, la propagation des claims miniers est un frein important à la création d’aires protégées et la mise en place d’autres mesures de conservation sur le territoire. D’autre part, l’exploration et l’exploitation minière, même en utilisant des pratiques plus « durables », génèrent nécessairement des impacts significatifs sur la biodiversité.

Course aux minéraux stratégique : le caribou dans la mine

La superposition des aires de répartition des caribous forestiers et montagnards avec l’emplacement des récents claims miniers permet de saisir l’ampleur de la problématique au Québec (carte ci-dessus), et illustre bien l’importance d’éviter l’approche en silo pour lutter contre la double crise, celle du climat et de la biodiversité. Considérant qu’une grande partie de l’habitat des caribous se situe en zone minière, il y a lieu de se demander s’il y a un caribou dans la mine…

5. Causes sous-jacentes

Si nous peinons à freiner la perte de biodiversité depuis 30 ans, ce n’est pas faute de conventions internationales, de lois ou de mobilisation. Seulement, nos modèles politiques et économiques encouragent une exploitation non durable de la nature. Nous ne nous attendions pas à ce que ces modèles soient renversés durant la COP15, mais il nous semblait important que les causes sous-jacentes à la perte de la biodiversité soient enfin nommées et abordées en haut lieu. Résultat ?

À L’INTERNATIONAL

Des mentions en hauts lieux 🟢

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Des appels ont été lancés par divers intervenants lors de la COP pour que les causes sous-jacentes de la perte de la biodiversité soient adressées, notamment par le président de l’assemblée générale des Nations Unies (Csaba Kőrösi) lors du lancement du segment de haut niveau. Il a insisté sur le besoin de s’attaquer aux causes profondes de la perte de biodiversité, et a mentionné spécifiquement les moteurs économiques et la nécessité de transformer la façon dont on produit, consomme, échange et transporte. Il a incité les gouvernements à freiner les subventions néfastes pour la biodiversité (cible 18), notamment celles qui encouragent des pratiques non durables en foresterie, agriculture et pêcherie, et a mis l’accent sur la nécessité d’avoir une économie circulaire.

QUÉBEC ET CANADA

Sur l’importance d’aborder les causes sous-jacentes lors de cette COP, on peut donc évaluer assez positivement la contribution de la société civile et des ordres de gouvernements au Québec et au Canada.

L’Appel de Montréal 🟢

Profiter de la COP15 pour enfin aborder l’enjeu des causes sous-jacentes à la perte de la biodiversité était l’un des principaux objectifs (et défis) de la société civile québécoise à travers le Collectif COP15. Outre la participation et la couverture médiatique enviables dont il a bénéficié, l’élément le plus notable qui est ressorti de cet événement est peut-être l’Appel de Montréal lancé lors de sa clôture en zone bleue. Devant une salle composée d’organismes environnementaux, de journalistes, de sous-ministres et de chefs de cabinet, la mairesse de Montréal, la grande cheffe du Gouvernement de la Nation Crie et les ministres de l’Environnement du Québec et du Canada ont lancé cet Appel, un engagement à poursuivre le dialogue sur les solutions permettant la mise en œuvre de changements à un modèle économique dommageable pour la nature. Certains diront qu’un engagement à poursuivre le dialogue, ce n’est pas très contraignant. Mais symboliquement, et sur une thématique aussi radicalement en décalage avec le modèle « business as usual » qui prévaut, c’est tout sauf anodin. Depuis, l’Appel a été appuyé et relayé par plus de 80 organisations.

Conclusion : une pas pire COP, mais…

Nature Québec se réjouit de l’adoption d’un cadre mondial ambitieux pour la planète, malgré la présence de certains objectifs plus faibles dans le texte. Il faut saluer cet effort de négociation des pays qui nous dotent aujourd’hui d’une feuille de route plus complète que les précédents objectifs d’Aichi. Ensuite, il reste à voir si le cadre permettra de réellement arrêter la perte de la biodiversité (rappelons-nous que l’accord précédent n’a pas réussi) et de quelle façon il se traduira dans les États, dont le Canada et le Québec. 

Crédit photo : Hugues Deglaire
Crédit photo : Hugues Deglaire

À ce sujet, la COP15 a donné lieu à plusieurs annonces gouvernementales, mais peu d’actions concrètes (p. ex. absence d’annonce de nouvelles aires protégées ou de réforme de lois). Le gouvernement du Québec est manifestement très investi dans la transition énergétique et mise beaucoup sur son Plan pour une économie verte. Ce dernier risque cependant d’avoir des effets négatifs sur la biodiversité (tel que mentionné plus haut). Pour Nature Québec, l’éléphant dans la pièce demeure l’absence d’annonces concrètes pour améliorer la protection des caribous. Pendant que le monde entier discutait de la biodiversité à Montréal,  le Québec demeurait silencieux quant à leur avenir. Après avoir accueilli la COP15 que certains qualifient d’historique, il serait dommage que la protection du caribou et la création d’aires protégées soient minées par la transition énergétique du Québec.

Il en va de même de l’absence d’annonce concernant l’agrandissement du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent. Est-ce qu’on a peur que cela nuise aux exportations maritimes de matériaux stratégiques ?

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Nous sommes pour une transition énergétique, mais celle-ci doit aller de pair avec le respect de la biodiversité, des communautés et des droits humains. C’était d’ailleurs l’un des principaux messages de la COP15. Le Québec l’a -t-il seulement compris ?

« Vous l’aurez compris, tous les paliers de gouvernement ont maintenant un guide ambitieux pour leur permettre de passer réellement des paroles aux actes. D’ici 2030, il faudra redoubler d’efforts pour atteindre nos cibles. Sept ans, ça laisse très peu de temps pour changer la trajectoire. Il est  pourtant crucial de faire face dès maintenant aux causes directes et indirectes qui risquent de nous mener à notre perte. Nous n’avons pas le choix de gagner cette coupe du monde si nous souhaitons honorer la survie de la biodiversité, nous incluant. L’ambition à elle seule ne suffira pas à stopper cette « orgie de destruction », alors action ! »

Cyril Frazao, Directeur exécutif

Crédits

Rédaction : Équipe de Nature Québec

Révision : Gabriel Marquis et Emmanuelle Vallières-Léveillé