Ya’nienhonhndeh : Un projet d’aire protégée autochtone et une forêt vierge dans la région de Québec

5 février 2021
yanienhonhndeh territoire, Crédit photo : Luc Vincent-Savard huron-wendat

Vue aérienne du tronçon nord du lac aux rognons et de milieux humides qui se trouvent à l’intérieur du massif de forêt vierge dans le Nionwentsïo, dans la région de Portneuf © Luc Vincent-Savard

De nos jours, rares sont les forêts vierges au sud de la limite nordique des forêts exploitées. Ces écosystèmes d’espèces indigènes n’abritant aucune trace apparente d’activités humaines sont d’une grande valeur du fait de leur rareté et de leur caractère irremplaçable. Ils permettent notamment de servir d’état de référence quant à l’adaptation et la résilience naturelle de la forêt du Québec aux changements climatiques et aux stress écologiques. 

Si ces écosystèmes sont de moins en moins nombreux, ils ne sont pas toujours éloignés du fourmillement des villes ; une raison de plus de les faire connaître et de les protéger.

C’est d’autant plus vrai lorsque ces forêts revêtent de plus un caractère patrimonial et culturel pour les Premières Nations. C’est le cas d’un des derniers massifs de forêt boréale vierge au sud du 49e parallèle situé dans le Nionwentsïo, territoire traditionnel de la Nation huronne-wendat, dans le nord de la région de Portneuf et dans la région administrative de la Capitale-Nationale. Un partie se retrouve à l’intérieur sur le territoire de la réserve faunique des Laurentides.

Depuis une dizaine d’années, la Nation huronne-wendat tente d’en faire un des rares projets d’aire protégée dans le sud du Québec : l’Aire protégée Ya’nienhonhndeh, signifiant en wendat «là où l’on cueille les plantes médicinales». Le projet couvrirait plus de 850 km², dont environ 340 km² en forêt vierge. 

Nature Québec appuie vigoureusement ce projet unique auquel le gouvernement du Québec devrait porter attention. Voici pourquoi.

Une rareté des forêts du Québec à protéger de l’industrie forestière!

territoire du nionwentsio

Territoire du Nionwentsïo de la Nation huronne-wendat © Bureau du Nionwentsïo

Le massif de forêt boréale du Nionwentsïo a longtemps été épargné par l’industrie forestière, probablement en raison des épidémies d’insectes récurrentes qui touchaient les arbres, du relief et de son éloignement des industries. 

Il y a quelques années, la Nation huronne-wendat a toutefois été consultée  pour un potentiel de coupes d’arbres dans le massif de forêt vierge, près du Lac à Moïse. Dans la dernière décennie, le ministère des Forêts de la Faune et des Parcs y a autorisé des coupes qui ont entraîné à ce jour une perte d’environ 15% du massif.

En 2018, la Nation a réussi à obtenir un moratoire sur les coupes forestières prévues dans le massif de forêt vierge. Cependant, cette mesure ne suffira pas pour freiner à long terme l’inéluctable morcellement d’un énième vestige des forêts québécoises au sud du 49 parallèle. Il est donc impératif de protéger plus efficacement cette richesse écologique d’une grande rareté.

Des peintures rupestres vieilles de plusieurs siècles

En plus du caractère vierge qui confère une grande valeur au territoire, la Nation huronne-wendat a découvert  que ce dernier fut utilisé par ses ancêtres pour de nombreuses activités, dont la chasse, la pêche, le trappage et la circulation via de nombreux portages et sentiers. Le territoire bénéficie donc de surcroît d’une importante valeur patrimoniale et culturelle puisque c’est tout un pan important de l’histoire et du mode de vie de la Nation qui s’y trouve. Le caractère intact du massif de forêt vierge est d’ailleurs un atout majeur pour les recherches archéologiques tout acabit puisque les sols n’ont pas été perturbés.  

Par exemple, en 2016, des fouilles archéologiques ont permis de découvrir des traces d’une occupation datant potentiellement du 18e ou 19e siècle (fragments de poêle en fonte, clous) et d’autres vestiges (pierre taillée) d’avant 1534. Plusieurs sentiers de portage ont également été validés sur le terrain. Ceci dit, l’une des découvertes les plus impressionnantes est une peinture rupestre de 20 mètres de longueur par 3 mètres de hauteur. Cette immense œuvre, réalisée il y a plusieurs centaines d’années avec de l’ocre rouge, présente des formes humaines et animales. Seulement une douzaine d’autres œuvres de ce genre sont connues sur le territoire québécois.

art rupestre wendake

Découverte de peintures rupestres sur une falaise dans le secteur du Lac à Moïse. © Michel Plourde, archéologue

De la même manière que la création de la réserve de biodiversité projetée d’Anticosti vise la protection du patrimoine naturel et la mise en valeur du patrimoine culturel de la communauté de l’île ainsi que de celui des communauté innues, la création d’une aire protégée dans le massif de forêt boréale du Nionwentsïo permettrait de reconnaître et préserver des parcelles de notre  histoire et celle des Premières Nations.

Une meilleure gestion et un concept rassembleur

Délimitation du projet d’aire protégée Ya’nienhonhndeh de la Nation huronne-wendat. Note : La délimitation du projet est sujette à changement avec l’arrivée de nouvelles connaissances.

Par l’importance à la fois culturelle, écologique et paysagère du territoire, le projet d’Aire protégée Ya’nienhonhndeh proposé par la Nation huronne-wendat aurait deux volets : (1) une portion de protection stricte sous forme de réserve de biodiversité afin d’assurer le maintien du massif de forêt vierge et de ses valeurs culturelles et biologiques ; (2) une seconde portion sous forme d’utilisation durable (nouveau type de protection introduit par le projet de loi 46 modifiant la Loi sur la conservation du patrimoine naturel) qui permettrait de favoriser une utilisation plus écosystémique de la forêt, prenant davantage en compte les intérêts des différents utilisateurs du territoire.

Pour la Nation, ce mode de gestion permettrait à la fois de préserver et faire découvrir la richesse du territoire, tout en proposant un projet rassembleur pour la région. La Nation estime d’ailleurs que son projet pourrait servir de modèle et permet de répondre au manque de protection du territoire souvent décrié dans le sud du Québec. 

«Pour la Nation, ce mode de gestion permettrait à la fois de préserver et faire découvrir la richesse du territoire, tout en proposant un projet rassembleur pour la région.»

Plus de recherche et de nouvelles découvertes

Au cours des deux dernières années, la recherche scientifique s’est grandement accentuée dans le territoire visé par l’Aire protégée Ya’nienhonhndeh. Financées en partie par le Fonds de la nature du Canada et réalisées en collaboration avec plusieurs partenaires universitaires, gouvernementaux et privés, ces recherches ont pour but d’approfondir la connaissance du territoire afin de mieux protéger ses valeurs culturelles et biologiques lors de son utilisation future. Plusieurs ont par ailleurs débouché sur des résultats forts intéressants. Par exemple, une mousse rare qu’on croyait disparue au Québec ainsi que des forêts anciennes ont été observés au sein du massif de forêt vierge. Au plan de la faune, des sites de nidification potentiels du martinet ramoneur, une espèce d’oiseau menacée, ont été identifiés dans la partie exploitée. Ces découvertes s’ajoutent aux fouilles archéologiques et justifient d’autant plus la protection du territoire.

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Inventaires de mousses et de plantes rares dans le territoire Ya’nienhonhndeh à l’été 2020. ©Bureau du Nionwentsïo

Et pour la suite ?

Suite à l’obtention du moratoire sur les coupes de bois prévues dans le massif de forêt vierge, la Nation huronne-wendat a demandé l’an dernier d’étendre celui-ci à l’ensemble de la superficie du projet d’aire protégée. Cette demande est toujours en cours et s’est soldée pour le moment par un statu-quo. Par ailleurs, le projet d’aire protégée Ya’nienhonhndeh n’a pas été retenu par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques lors de son annonce de la création de nouvelles aires protégées en vue de l’atteinte de ses cibles pour 2020. 

Il s’agit d’une occasion ratée de protéger les forêts du Québec méridional, une lacune pourtant remarquée dans l’annonce du gouvernement. 

Équipe des inventaires des populations de poissons dans le territoire Ya’nienhonhndeh à l’été 2020. ©Bureau du Nionwentsïo

Nature Québec continue d’appuyer la Nation dans sa demande de maintien du moratoire et ultimement d’aménagement d’une aire protégée. La course contre la montre est lancée, car les activités forestières pourraient mettre en péril de nouveaux trésors à découvrir, un projet rassembleur, de même qu’un territoire d’une grande valeur écologique et culturelle…À quelques kilomètres de Québec!

Audrey-Jade Bérubé

Chargée de projet Aires protégées et biodiversité 

audrey-jade.berube.q@naturequebec.org
418 648-2104 poste 2092

Crédits

Rédaction : Audrey-Jade Bérubé

Révision :  Louis Lesage,  Béatrice Carrier, Gabriel Marquis et Emmanuelle Vallières-Léveillé

Références

Ministère de l’Environnement et de la lutte contre les changements climatiques (MELCC). (2019). Projet de loi no 46, Loi modifiant la Loi sur la conservation du patrimoine naturel et d’autres dispositions. Éditeur officiel du Québec. http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-46-42-1.html?appelant=MC.

Bélanger, Louis. Ingénieur forestier et professeur retraité à l’Université Laval.

Bureau du Nionwentsïo. (2016). Ébauche de stratégie territoriale : Aire protégée polyvalente Ya’nienhonhndeh. Wendake, 14 p.

Bureau du Nionwentsïo. (2020). Aire protégée Ya’nienhonhndeh, Notre patrimoine collectif, Protéger le dernier massif de forêt vierge du Nionwentsïo. Wendake, 9 p.

Corneau, M. (2018, 21 août). Moratoire demandé pour protéger la dernière forêt vierge de la Capitale-Nationale. Radio-Canada, Ici-Québec. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1119048/moratoire-demande-proteger-derniere-foret-vierge-sud-quebec-coupes-massives-arbres.

Gouvernement du Canada. 2020. Le Fonds de la nature du Canada. https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/patrimoine-naturel/fonds.html

Magny, C. (2016, 16 novembre). Traces de vie à protéger. ULaval nouvelles. https://nouvelles.ulaval.ca/recherche/traces-de-vie-a-proteger-0ad16cde51f7363a88e4344bceb64b91.

Ministère de l’environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC). (2020, 17 décembre). Communiqué de presse : Québec respecte son engagement et réussit à protéger 17 % de son territoire terrestre et d’eau douce. Gouvernement du Québec. http://www.environnement.gouv.qc.ca/Infuseur/communique.asp?no=4440

Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. (2010). Évaluation des ressources forestières mondiales. p. 53. http://www.fao.org/3/i1757f/i1757f.pdf.

Rémillard, D. (2019, 9 décembre). Les Hurons-Wendat pressent la CAQ de protéger une forêt vierge menacée. Radio-Canada, Ici-Québec. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1422642/foret-vierge-lac-a-moise-hurons-wendats-caq-aire-protegee

Rémy Vincent, Grand Chef de la Nation huronne-wendat