Saviez-vous que le gouvernement fédéral est en train de travailler sur un projet de plafonnement et de réduction des émissions du secteur des énergies fossiles au Canada?
Ce règlement, en cours d’élaboration, fait suite à la Loi sur la responsabilité en matière de carboneutralité en vigueur depuis juin 2021. Cette dernière est venue enchâsser dans la loi la cible de réduction de GES canadienne pour 2030 (40%-45% par rapport au niveau de 2005) ainsi que l’engagement à la carboneutralité pour 2050. La loi établit également un processus juridiquement contraignant avec des cibles intermédiaires tous les cinq ans associées à des plans de réduction.
Par conséquent et conformément à cette loi, le premier plan de réduction (PRE), celui pour atteindre la cible 2030, a été publié en mars 2022. On peut y lire que le secteur des énergies fossiles devra réduire ses émissions de 31% par rapport au niveau de 2005 et que pour y arriver, l’industrie sera notamment tenue de respecter un plafond d’émissions, voué à devenir de plus en plus bas au fur et à mesure que les cibles nationales de réduction seront rehaussées pour atteindre la carboneutralité en 2050.
C’est sur la réglementation de ce plafonnement que travaille actuellement le ministre de l’environnement Steven Guilbeault. Pourquoi avons-nous besoin d’un tel outil dans notre arsenal contre les dérèglements climatiques?
Un secteur loin de faire sa juste part…
Entre 1990 et 2020, la production de pétrole brut au Canada a doublé, en grande partie à cause du développement des sables bitumineux. À lui seul, ce secteur a connu une augmentation de ses émissions de GES de 437%. Durant la même période, la production de gaz naturel non conventionnel (principalement issu de la fracturation) a elle aussi augmenté, entraînant une hausse de 42% de ses émissions de GES.
Au total, le secteur des énergies fossiles au Canada a augmenté ses émissions de 74% entre 1990 et 2020 en faisant le plus gros émetteur au Canada avec un total de 179 mégatonnes de CO2 en 2020, ce qui représentait 27% des émissions canadiennes. L’inventaire 2021 confirme la tendance tandis que les émissions de l’industrie continuent d’aller à la hausse, avec une augmentation de 4% entre 2020 et 2021. Le comble : ces chiffres sont probablement sous-estimés. Ainsi, une récente étude réalisée par des chercheurs d’Environnement et Changement climatique Canada laisse entendre que les émissions du secteur des sables bitumineux pourraient être 65 % plus élevés que ce qui est rapporté par l’industrie!
…alors qu’il en a largement les moyens
Les compagnies pétrolières et gazières ont réalisé des profits records dans les deux dernières années. Rien qu’au Canada, Imperial Oil, Canadian Natural, Cenovus, Suncor et Tourmaline oil corp ont engrangé des profits totalisant près de 40 milliards de dollars en 2022. Et selon le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA), pendant la même période, sur chaque dollars supplémentaire dû à l’inflation au Canada, 47 cents ont été convertis en bénéfices directs pour les entreprises dont 25 cents au profit du secteur de l’extraction minière, pétrolière et gazière. Cela en fait donc le secteur ayant bénéficié le plus de l’inflation au pays.
Sachez aussi que selon l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP), des investissements de 40 milliards de dollars sont attendus en 2023, une augmentation de 11% par rapport à l’année précédente. Ainsi, les sommes consacrées à la production cette année dépasseront les niveaux d’investissement antérieurs à la pandémie.
…qu’il reçoit encore pléthore de subventions publiques
Et alors que l’argent coule à flots, en 2022, les subventions publiques aux énergies fossiles à l’échelle mondiale ont totalisé 1000 milliards de dollars US selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Un record absolu qui s’explique principalement par la volonté des états de faire face à la crise de l’énergie dûe à la guerre en Ukraine.
Or, d’après Oil Change International, le Canada était durant la même année au deuxième rang des pays du G20 en termes de subventions aux combustibles fossiles avec une moyenne de 8,5 milliards de dollars US entre 2019 et 2021.
…et qu’il manipule la population pour ne pas assumer ses responsabilités.
Pourtant, ce sont des milliards que les compagnies pétrolières et gazières ont investi depuis plus de 50 ans en campagne de désinformation sur les changements climatiques alors que preuve est faite qu’ils savaient pertinemment l’effet des énergies fossiles sur le climat depuis tout ce temps et qu’ils se sont employés systématiquement à retarder l’action climatique.
D’ailleurs, en ce sens, le rapport d’InfluenceMap a révélé en février 2023 l’hypocrisie du secteur canadien qui d’un côté déploie une kyrielle de campagnes et de messages sur leurs engagements vers la carboneutralité en 2050 et de l’autre mène un lobbyisme intensif contre les politiques climatiques que le fédéral s’évertue à mettre en œuvre.
Non, le gaz n’est pas une énergie de transition
Un blogue à lire sur le sujet des énergies fossiles.
Un plafonnement ambitieux oui mais qu’est ce que ça signifie?
Considérant tout cela, il est plus que temps que le secteur soit mis devant ses responsabilités et fasse sa part! Pour cela, nous avons besoin d’une réglementation forte et qui ne laisse place à aucun compromis. Dans les faits, ça veut dire quoi?
1. S’aligner avec la science et l’objectif de 1,5°C de réchauffement d’ici 2100, soit l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris: Afin d’assumer sa juste part des efforts internationaux de mitigation, le Canada doit réduire ses émissions domestique de 60% d’ici 2030. Cette réduction doit s’appliquer aussi au secteur pétrolier et gazier sous peine d’iniquité avec d’autres secteurs;
2. Inclure dans le plafond toutes les activités et installations liées à l’industrie pétrolière et gazière: champs d’exploitation, infrastructures de transports (pipelines), raffineries, usines de liquéfaction de gaz fossile (GNL);
3. Exclure les crédits compensatoires de la réglementation: le secteur doit réduire concrètement ses émissions. Par exemple, hors de question de leur permettre de faire de l’écoblanchiment en payant pour des plantations d’arbres qui ne compenseront jamais réellement leurs GES;
4. Entrer en vigueur dès 2023 et interdire toute «flexibilité de conformité»: Le Canada accuse déjà un retard considérable dans l’atteinte de sa cible 2030. Toute nouvelle réglementation doit donc s’appliquer au plus vite et surtout n’accorder aucune latitude aux entreprises durant les premières années;
5. Respecter les droits des peuples autochtones et tenir compte des principes de transition juste, d’équité et de justice environnementale dans l’élaboration de la réglementation: Les peuples autochtones, les travailleurs-es du secteur et les communautés locales seront touchés à différents niveaux par la mise en œuvre du plafonnement. Tenir compte de leurs différentes réalités est primordial.
Le gouvernement doit serrer la vis à l’industrie fossile
Une première version du règlement sur le plafonnement des émissions de l’industrie pétrolière et gazière est attendue à la fin du printemps. On invite le gouvernement fédéral à faire preuve de la plus haute ambition pour que le secteur face enfin sa juste part dans l’effort national de réduction de nos émissions de GES. L’industrie a les moyens humains et financiers d’y parvenir à condition qu’elle les mobilise vers les solutions plutôt que vers les poches de ses actionnaires. C’est une question de justice environnementale, tout simplement!
Un plafonnement pour une réduction immédiate, mais encore…
Qu’on se le dise, commencer par plafonner puis réduire les émissions de l’industrie fossile n’est qu’une première étape. En effet, la réglementation en cours d’élaboration ne s’attaquera qu’aux émissions de GES produites en amont, c’est-à-dire lors de l’exploration, l’exploitation et du transport des énergies fossiles. Pourtant, on sait que près de 80% des émissions ont lieu en aval, au moment de leur consommation. Tout un travail reste donc à faire et d’autres mécanismes doivent être développés et mis en œuvre afin de s’y atteler véritablement.
Car le GIEC est clair. Si on veut respecter l’Accord de Paris et avoir une chance de contrôler les impacts des dérèglements climatiques, il faut sortir des énergies fossiles. Arrêter d’en produire est donc un passage obligé et au Canada, la réglementation de la production appartient aux provinces. C’est donc à ces dernières d’agir en planifiant une transition équitable visant à ne laisser aucun travailleur-se ni aucune communauté derrière. Qu’attendent-elles?
Ensemble, serrons la vis aux pétrolières
Ce printemps, écrivez à votre député fédéral pour lui demander d’appuyer l’imposition d’un plafond d’émission juste et ambitieux pour le secteur des énergies fossiles au Canada.
Voir notre capsule sur le plafonnement des GES du secteur des énergies fossiles
Crédits
Rédaction : Anne-Céline Guyon
Révision : Gabriel Marquis
Montage : Catherine Bégin