Marinvest Energy, un nouveau projet de GNL au Québec?

6 novembre 2025

Si vous avez eu la chance de partir en vacances cet été et de décrocher des nouvelles, vous ne l’avez peut-être pas vu passer, mais on veut nous refaire le coup d’un projet de transport de gaz dit « naturel » sur le territoire du Québec. En gros, un GNL Québec 2.0 ! Voici donc un résumé de ce que Nature Québec sait de Marinvest Energy pour le moment.

Cet article a été rédigé en octobre 2025.

Une nouvelle tentative de projet de gaz fossile ?

Précisions d’entrée de jeu : il n’y a, pour le moment, officiellement aucun projet déposé nulle part. Les informations dont nous disposons sont issues de recherches sur le registre des lobbyistes du Québec, de demandes d’accès à l’information de Greenpeace Canada et d’enquêtes menées par des journalistes. Mais la nature du projet est, elle, déjà bien connue ainsi que ses composantes principales. 

Ce nouvel essai énergétique est porté par une compagnie norvégienne, Marinvest Energy AS. Elle a pour idée d’implanter un complexe gazier constitué d’un gazoduc s’étendant de la frontière avec l’Ontario jusqu’à Baie-Comeau, en passant au nord du Lac Saint-Jean, et un terminal : une usine de liquéfaction flottante dans la Baie des Anglais. Ce gaz naturel liquéfié (GNL) albertain serait ensuite transbordé sur des méthaniers et envoyé sur les marchés européens. 

Créée en 2020, cette entreprise norvégienne se spécialise dans le développement de terminaux et systèmes d’énergie marine pour transporter le GNL. Elle a enregistré récemment une filiale au Québec sous le nom de Marinvest Énergie Canada. Pour le moment, il n’y a qu’un seul employé, le directeur de l’exploitation, Greg Cano, connu pour avoir joué un rôle majeur dans la construction du gazoduc Coastal GasLink en Colombie-Britannique. Ce pipeline avait défrayé l’actualité à cause de la violence avec laquelle les membres de la Nation Wet’suwet’en (1) avaient été traités pour leur opposition au projet.

GNL est l’acronyme de gaz naturel liquéfié. On parle ici de gaz dit « naturel » (car issu d’un processus terrestre naturel) qu’on refroidit à environ -160°C pour le transformer à l’état liquide, permettant ainsi de le transporter et de le stocker plus facilement sur de longues distances, notamment sur des bateaux qu’on appelle des méthaniers.

Un projet qui aggraverait sans aucun doute la crise climatique

Si certains détails restent flous, l’objectif même de Marinvest Energy — permettre l’augmentation de la production du gaz fossile au Canada et l’exportation de cette ressource sur les marchés mondiaux — ne laisse aucun doute quant aux impacts climatiques et à la hausse des émissions de GES du pays.

Rappelons que le gaz dont on parle ici est du méthane, un gaz à effet de serre 80 fois plus puissant que le CO2 lors de ses vingt premières années de vie dans l’atmosphère. Il est également issu en très grande partie de la fracturation hydraulique, le procédé d’extraction le plus polluant et ayant des impacts sérieux sur la santé des populations vivant à proximité des sites (contamination des nappes phréatiques, destruction de milieux naturels et fuites de méthane qu’il entraîne). C’est d’ailleurs en partie pour ces raisons que la province du Québec a interdit cette pratique en 2021 avec la Loi mettant fin à la recherche d’hydrocarbures ou de réservoirs souterrains, à la production d’hydrocarbures et à l’exploitation de la saumure.

illustration de la fracturation hydraulique
illustration de la fracturation hydraulique

La compagnie veut alimenter en électricité l’usine de liquéfaction grâce à un parc éolien. C’est d’ailleurs sur cet argument qu’elle s’appuie pour qualifier son projet de « carboneutre ». On entend aussi souvent dire que le gaz est une énergie de transition, or ce n’est pas le cas. À la combustion, il émet en effet moins que le charbon ou le pétrole, mais lorsqu’on prend en compte les émissions sur l’ensemble de son cycle de vie, de l’extraction jusqu’à la combustion, le GNL a un bilan d’émission de GES égal, voire pire que le charbon (2).

L’utilisation de termes comme « carboneutre » ou « énergie de transition » dans ce contexte n’est qu’une stratégie de marketing et elle porte un nom : l’écoblanchiment! Ce projet augmenterait nécessairement les émissions de GES du Canada.

Et les impacts sur la biodiversité et la protection des territoires ?

Les enjeux pour la protection de la biodiversité et du territoire sont nombreux et varient en fonction des différentes infrastructures qui doivent composer le complexe gazier.

Photographie : Patrick Bourgeois
Photographie : Patrick Bourgeois

Avec près de 1000 km de long, sa construction va entraîner de la déforestation sur l’ensemble du tracé ainsi qu’une grande fragmentation des habitats fauniques et floristiques et la destruction de nombreux milieux humides et hydriques. De nombreuses traversées de rivières, dont plusieurs sont actuellement harnachées, présentent aussi des risques pour la faune aquatique et la pollution de l’eau. De plus, l’emprise du pipeline de 60 mètres de large limite beaucoup d’activités comme le reboisement ou l’interdiction de certaines plantations. Nommons également que le tracé de ce gazoduc traverserait des territoires non cédés de plusieurs Premières Nations.

La Baie des Anglais où elle serait construite abrite une riche biodiversité, notamment sur le plan des oiseaux et de la faune aquatique. Elle est reconnue à travers différentes désignations, que ce soit des aires de concentration d’oiseaux aquatiques (ACOA), la zone d’importance pour la conservation des oiseaux (ZICO), ou encore la région de biosphère Manicouagan-Uapishka. Certaines espèces aquatiques en péril comme le rorqual commun, le rorqual bleu ou encore le béluga sont aussi présentes ou susceptibles d’être dans ce secteur. Les travaux de construction de cette nouvelle usine pourraient également augmenter le bruit sous l’eau et causer la mortalité ou le déplacement d’invertébrés benthiques et de poissons fréquentant le site, en plus de détruire ou de modifier localement leurs habitats.

Leur installation risquerait d’engendrer déboisement, fragmentation d’habitats fauniques et floristiques à cause des chemins forestiers et perte de milieux hydriques et humides. On sait aussi que leur fonctionnement a des impacts significatifs sur les oiseaux et les chauves-souris.

L’augmentation du trafic maritime pour l’exportation serait certainement le principal facteur de dérangement de la faune marine. On parle ici de 3 ou 4 bateaux de 300 mètres de long par semaine. Ces derniers présenteraient aussi un risque de propagation d’espèces exotiques envahissantes à cause des eaux de ballast.

Il est également important de prendre en compte les impacts cumulatifs qu’un tel projet énergétique pourrait avoir sur le climat, la biodiversité, et l’environnement de façon plus générale (p. ex. qualité de l’eau et de l’air), considérant les nombreuses activités industrielles se déroulant déjà dans le secteur.

Aires protégées inscrites au Registre des aires protégées et AMCE au Québec et situées à proximité de la Baie des Anglais.
Aires protégées inscrites au Registre des aires protégées et AMCE au Québec et situées à proximité de la Baie des Anglais.
Limites de la ZICO QC082 et occurrences d’espèces menacées ou vulnérables selon le Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec (CDPNQ).
Limites de la ZICO QC082 et occurrences d’espèces menacées ou vulnérables selon le Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec (CDPNQ).

Est-ce un projet sérieux ?

Après avoir fermé la porte au projet d’oléoduc Énergie-Est et à GNL Québec il y a quelques années, nous pensions en avoir fini avec les projets de pipelines d’énergies fossiles au Québec. Malheureusement, c’était sans compter le chaos géopolitique mondial actuel et son instrumentalisation par les entreprises d’énergies fossiles.

Un lobbyisme intensif en cours

Ce qu’on sait pour le moment, c’est que l’entreprise est en train d’enchaîner les rencontres avec le gouvernement Carney et le gouvernement Legault pour aller chercher leur appui politique afin, ensuite, d’attirer des investisseurs. Et à ce registre, elle ne chôme pas. Depuis le mois de février 2025, ses six lobbyistes ont déjà obtenu de nombreuses audiences. Au provincial, des discussions ont eu lieu avec le cabinet du premier ministre, le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie et celui de l’Environnement.

Du côté d’Ottawa, c’est le cabinet du premier ministre Carney ainsi que celui du ministre de l’Énergie, Tim Hodgson, qui ont été rencontrés. Ici, aucune surprise quant au fait qu’une partie de la conversation porte sur la possibilité pour le projet d’être désigné comme d’ « intérêt national » en vertu des dispositions adoptées sous bâillon avec la loi C-5. Si cela s’avérait, ce complexe gazier pourrait être approuvé de manière accélérée, sans évaluation environnementale approfondie et en contournant les droits des communautés autochtones et plusieurs lois environnementales, comme celle sur les espèces en péril. Au vu des impacts éventuels du projet, c’est loin d’être rassurant.

Un contexte économique loin d’être favorable

Nature Québec a publié en juin 2025 une analyse économique (3) confirmant que pour voir le jour et être rentables, des projets comme celui de Marinvest Energy devraient être financés par les contribuables. Pourquoi ? Premièrement, dans une lettre ouverte (4), 46 économistes ont montré qu’un tel projet coûterait entre 33 et 41 milliards de dollars. Or, notre rapport économique et différentes études consultées (5) sur les projections de la demande pour le gaz abondent toutes dans le même sens : la production mondiale de gaz va excéder la demande, créant un contexte de marché risqué pour les producteurs. Par exemple, le marché européen visé par le projet a vu sa consommation de gaz reculer de 20 % entre 2021 et 2024 (6). Dans ce contexte, la seule façon de réduire les risques pour le secteur fossile privé est de sécuriser du financement public.

Deuxièmement, on se souvient qu’interrogé à plusieurs reprises sur le sujet, François Legault et d’autres membres du gouvernement se sont dit ouverts au projet à condition qu’il amène des retombées économiques pour le Québec. Serait-ce le cas ? En fait, les retombées économiques seraient minimes, presque exclusivement générées lors de la phase de construction des différentes infrastructures. En effet, n’étant qu’un projet de transport de GNL, le Québec ne serait qu’un corridor où circulerait et serait liquéfié le gaz fossile pour ensuite être acheminé vers les marchés européens.

Quel rôle jouera Nature Québec pour la suite ?

Pour notre organisation, il est clair que ce projet de complexe gazier ne tient pas la route, ni économiquement, ni à cause de son impact environnemental. S’il voyait le jour, il constituerait une bombe climatique en plus de causer des dommages irrémédiables aux écosystèmes. Ce GNL Québec 2.0 n’est pas une solution efficace pour l’économie québécoise, ni un gage de beaucoup d’emplois à long terme. Les Québécois, Québécoises et les communautés locales doivent avoir accès à ces informations. C’est pourquoi nous étions à Baie-Comeau en septembre 2025 suite à l’invitation du TROC-CDC Côte-Nord et de Mères au front Baie-Comeau pour participer à une séance d’informations publique sur les enjeux entourant le projet. Nous créons et partageons également des contenus sur les réseaux sociaux pour informer au mieux le public.

Nous suivons donc de très près le dossier et intervenons à chaque étape pour que ce projet ne voit jamais le jour. Nous sommes intervenu-e-s dans les médias, nous alertons les leaders politiques et nous aidons les Québécois-es à se mobiliser.

Avec nos allié-e-s, nous avons dit non à Énergie-Est et non à GNL Québec.
Aujourd’hui, Marinvest Energy, c’est encore NON!

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Rédaction

Anne-Céline Guyon, analyste Climat-Énergie

Révision

Lucie Bédet, chargée des communications