La compensation carbone, c’est quoi? Et y a-t-il mieux?

13 mars 2025

Vous avez grandement besoin de vacances et vous regardez à l’horizon. Soudainement, vous ressentez un petit pincement. C’est votre conscience environnementale qui vous tracasse.  Bien évidemment, la France ou le Guatemala, ce n’est pas Chicoutimi. Un déplacement en avion est plus polluant qu’un itinéraire en voiture (surtout si elle est électrique) et celui en voiture, plus polluant que le cyclotourisme. Comment minimiser l’impact de votre moyen de transport lors de votre prochain voyage ?

Autre scénario : vous êtes responsable d’une entreprise et vous avez à cœur la RSE (responsabilité sociale de l’entreprise) et vous vous demandez comment compenser l’empreinte carbone de vos activités. Y a-t-il moyen de s’en sortir et de ne plus vous soucier de la réduction de vos émissions de GES (gaz à effet de serre) ?

Si vous êtes dans l’une ou l’autre de ces situations, il y a de fortes chances que votre recherche pour apaiser votre conscience vous mène vers la compensation carbone  ou vers les « crédits carbone ». 

Mais de quoi s’agit-il réellement? Est-ce une solution pour la réduction de vos GES ?  Y a-t-il de meilleures options ? 

La compensation carbone, c’est quoi ?

La compensation carbone (parfois présentée comme l’achat de crédits carbone ou de crédits compensatoires sur un marché du carbone) prend la forme de différentes mesures afin de contrebalancer ou d’annuler nos émissions de GES. Le plus souvent, les entreprises, coopératives ou organismes qui présentent des initiatives de compensation carbone vous proposent de payer pour la réalisation d’activités qui pourraient mener à une réduction des émissions de gaz carbonique dans l’atmosphère. Il peut s’agir de plantation d’arbres (un arbre absorbe du carbone durant sa vie), de restauration de milieux naturels riches en carbone comme les tourbières, de développement de technologies de captation et de séquestration de carbone ou d’investissement dans des projets d’énergie renouvelable visant à remplacer le recours à l’énergie fossile.

Comment fonctionne la compensation carbone ?

Photographie d'une aile d'avion en plein vol avec un fond de ciel bleu ensoleillé
Photographie par Ross Parmly

En tant qu’individu ou entreprise, vous pouvez calculer l’empreinte carbone de vos activités comme les voyages en avion à l’aide de calculatrices mises à votre disposition par des organismes, des coopératives ou des entreprises.  À partir de diverses variables, elles calculent de manière approximative la quantité de carbone produite par vos activités (en poids de CO2 équivalent).

Une fois que vous avez cette donnée en main, certaines calculatrices offrent de payer directement votre crédit carbone (ex. pour financer la plantation de x nombres d’arbres). Mais vous pouvez également choisir vous-même comment vous allez contrebalancer vos émissions de GES et sélectionner votre propre initiative de compensation carbone – celles-ci ne manquent pas !

Voilà ! Vous pouvez maintenant partir la tête tranquille ou annoncer à vos client-e-s que vous êtes carboneutres, n’est-ce pas ? Malheureusement, ce n’est pas si simple et la compensation carbone a plusieurs angles morts.

En voici quelques-uns.

L’un des principaux problèmes avec la compensation carbone, c’est qu’elle s’attaque à un problème urgent avec des solutions qui prennent du temps. En effet, nous subissons déjà les impacts des changements climatiques et nous aurions dû cesser d’ajouter du CO2 dans l’atmosphère il y a déjà un bon moment si nous voulions respecter les cibles de l’Accord de Paris. Or, lorsque nous plantons des arbres ou nous restaurons des milieux naturels, ceux-ci mettent plusieurs années, voire des décennies à capter le carbone que nous voulions compenser. La réduction attendue n’a donc pas lieu dans l’année, bien au contraire.
Entre-temps, il est possible que nous franchissions plusieurs points de non-retour à l’échelle du climat mondial.

La compensation carbone, c’est donc en quelque sorte un crédit qui permet de polluer maintenant et de compenser plus tard…sauf que notre dette climatique est déjà dans le rouge et les catastrophes se multiplient au Canada, comme ailleurs.

Plusieurs initiatives offrant de la compensation carbone sont transparentes quant à leur méthodologie et ses limites. Mais ce n’est pas toujours le cas. Il faut être prudent-e dans ce marché où les choses peuvent rapidement devenir complexes. 

De fait, on ne sait pas toujours ce qu’il y a derrière les calculateurs d’empreinte carbone, ni si les données employées sont fiables. 

Pire, il est parfois difficile de savoir dans quel projet notre crédit carbone sera investi et si ce projet mènera véritablement à une réduction des gaz à effet de serre. 

Récemment, des fraudes massives impliquant des projets de compensation carbone ont même été révélées à l’international.  Ce n’est probablement que la pointe de l’iceberg.

La plantation d’arbres, c’est bon partout, non ? Pas tout à fait… Les mesures proposées pour la compensation carbone prennent souvent la forme de plantation d’arbres puisque cette action est simple, mesurable et relativement peu onéreuse. 

Le problème réside dans le lieu et la manière. En effet, certains projets de compensation carbone mènent à la plantation d’espèces d’arbres inadaptées au milieu. Dans un article récent du Devoir, on cite des exemples dans le sud du Mexique et au Ghana, où des forêts autrefois diverses « se sont transformées en masses homogènes » où les espèces ont été choisies « en grande partie pour leur valeur en bois et en pâte à papier, ou pour leur vitesse de croissance ». 

Les conséquences peuvent être multiples pour l’environnement : peuplements malades qui ne survivent pas et finissent par mourir ou être coupés (relâchant ironiquement le carbone capté), perturbation de l’écosystème par l’introduction d’espèces envahissantes, plus grande vulnérabilité aux risques climatiques et pour la biodiversité, etc. 

Dit grossièrement, en plantant des sapins dans le désert, on risque de créer plus de problèmes que d’en régler. 

C’est pourquoi il est toujours important de se renseigner sur les mesures de compensation carbone qui impliquent des interventions sur les milieux naturels. Il faut s’assurer que ces projets soient bien faits et certifiés par des équipes de scientifiques.
Par exemple, certaines initiatives sont affiliées à une université ou à des chaires de recherche. Cela peut aider à guider notre choix. 

Et si on vous disait que l’industrie gazière et pétrolière aime bien l’idée de compensation carbone ? En effet, plusieurs compagnies comme Total Énergies, Shell ou BP misent sur celle-ci pour améliorer leur image environnementale, alors qu’elles ont en fait l’intention d’augmenter leur production d’énergie fossile.

C’est ce qu’on appelle de l’écoblanchiment (Greenwashing).

Soyons clairs : qu’une compagnie ait recours aux crédits carbone comme outil imparfait pour amoindrir ses externalités environnementales est une chose. Que les principales responsables de la crise climatique l’utilisent pour détourner l’attention et se draper de vertu alors qu’elles nous précipitent dans le mur en est une autre. 

Le pire, c’est que la quantité de carbone à compenser dans le cas de la production d’énergie fossile est à ce point gargantuesque qu’on ne parle plus seulement de planter des arbres, mais de mettre en place des technologies mirobolantes dont la seule certitude est le coût. 

Au Canada, principalement en Alberta, d’imposantes campagnes d’écoblanchiment prennent forme en ce sens. L’Alliance Nouvelle Voix, consortium regroupant les six plus grandes entreprises de sables bitumineux canadiens, a pour objectif déclaré de réduire les émissions de GES de l’industrie et d’atteindre la carboneutralité de ses opérations de production d’ici 2050. Comment ? En déployant de soi-disant technologies de captation et de séquestration du carbone payées à même les contribuables et des financements opaques. Un projet en particulier entend capter les émissions de 14 sites de sables bitumineux grâce à un réseau de pipelines de 400 km devant amener le CO2 vers des sites de stockage. Le coût du projet ? 24,1 milliards de dollars, dont la moitié proviendrait du gouvernement du Canada et de celui de l’Alberta!

La vérité est que ce genre de projet n’a pas fait ses preuves et demeure de la poudre aux yeux. Cependant, les entreprises d’énergie pétrolière et gazière les brandissent afin de faire avorter toute politique contraignante de réduction de leurs émissions de GES.

Attention donc à ne pas encourager les initiatives de compensation carbone qui servent dans les faits à dédouaner les grands pollueurs de leurs responsabilités.

Si la crise climatique est grave, il en va de même de la crise de la biodiversité, de la pollution des eaux, de la déforestation et des injustices que subissent les peuples autochtones et les communautés qui se voient dépossédés de leurs terres au nom de l’exploitation des ressources naturelles.  

Tout ça pour dire que la compensation carbone, c’est s’attaquer avec une arme imparfaite à une partie seulement des immenses problèmes créés par notre modèle économique.

C’est louable, mais il faut être conscient-e-s des limites de cet outil et voir ce que nous pouvons faire de plus collectivement.

Que puis-je faire d’autre ?

Idéalement, avant de penser à la compensation carbone, il faut d’abord se demander ce qu’on peut faire pour réduire réellement nos émissions de gaz à effet de serre. Il en va de même pour notre empreinte environnementale en général.

Ceci dit, Nature Québec ne vous blâmera jamais de ne pas en faire assez sur le plan individuel. Chacun-e a ses réalités, ses contraintes, ses rêves et nous croyons que notre force réside plutôt dans notre capacité collective à changer les règles de manière durable et à créer un monde plus vert et plus juste.

Donc, si vous avez à prendre l’avion pour un voyage ou que vous voulez atténuer l’impact environnemental de votre entreprise, vous pouvez utiliser la compensation carbone comme outil, c’est légitime.

Mais vous pouvez aussi, si vous en avez envie, soutenir un organisme comme Nature Québec qui milite activement pour changer les politiques publiques et qui a des projets concrets pour protéger l’environnement et le climat, ici et maintenant !

Soutenir des actions concrètes pour l’environnement

Béluga

Protection des milieux naturels et d’espèces menacées comme les caribous, les hirondelles et les bélugas du Saint-Laurent;

Le sentier des Trois-Fourches et ses gros arbres

Protection des forêts et amélioration des pratiques forestières;

Blocage des projets d’hydrocarbures comme GNL Québec et Énergie Est;

Aide aux citoyens pour protéger les boisés et les milieux naturels de proximité;

Promotion et accompagnement de projets d’aires protégées, notamment à Anticosti, en Gaspésie et dans la Forêt de la seigneurie de Lotbinière;

Réalisation de projets de verdissement urbain dans des milieux de vie pour aîné-e-s, des écoles, des ruelles, de places publiques et plus;

Sensibilisation du public par la réalisation de matériel éducatif et de conférences;

Et plus encore!

Rédaction

Gabriel Marquis, Directeur Communication et engagement

Révision

Anne-Céline Guyon, Analyste Énergie et climat

Marie-Pier Morneau, Coordonnatrice des collectes de fonds et des événements