Pour pallier au vieillissement de nombreuses routes, conduites d’eau, écoles et autres infrastructures urbaines du Québec, des investissements considérables seront nécessaires dans les prochaines années (1). Parallèlement, nos villes font face de manière croissante aux problématiques que sont les îlots de chaleur urbains, la pollution atmosphérique et la perte de biodiversité. La question suivante se pose : comment faire front commun pour répondre à ces défis ?
On connaît depuis un bon moment l’importance d’accroître la présence végétale dans les villes et les services offerts par les végétaux ont été démontrés dans plusieurs études récentes (2). La végétalisation de nos milieux de vie a cependant bien d’autres attraits, notamment sur le plan des infrastructures. Voir les problématiques auxquelles font face nos municipalités comme un « tout » permet de réfléchir à des solutions englobantes et holistiques, tout en garantissant des services urbains pour les prochaines générations dans un environnement capable de se régénérer. Considérant que les infrastructures naturelles sont les seules infrastructures dont la valeur du service augmente avec le temps (3), il est temps de leur accorder la place qui leur revient.
Quand la gestion des eaux ne se limite pas aux canalisations
Pour illustrer le besoin de solutions intégrant le verdissement et répondant à plusieurs problématiques urbaines, prenons un exemple d’actualité chaque printemps : la gestion des eaux pluviales. La fonte des neiges et les fortes pluies peuvent entraîner l’accumulation d’eau dans des endroits sensibles et causer des dommages. Avec les changements climatiques, ces événements deviennent également de plus en plus fréquents et extrêmes, faisant peser une pression immense sur les villes. Pour y faire face, l’approche misant sur les infrastructures « grises » (digues et conduites) est bien connue et largement appliquée. Par contre, une autre, de plus en plus utilisée, est celle des infrastructures « vertes ».
Celles-ci ont différentes fonctions : elles peuvent être autant utiles pour prévenir les inondations que pour minimiser leurs impacts quand elles surviennent. En amont, si nous augmentons les surfaces végétalisées, comme les noues entre le trottoir et la chaussée ou les toitures vertes, les végétaux contribueront à retenir l’eau localement plutôt que l’acheminer vers un seul point de rejet à risque des surverses. En aval, les rives végétalisées limitent l’érosion des sols et la pénétration de l’eau à l’intérieur des terres (4).
Graphique présentant la prévention et la protection de l’absorption
Afin d’être optimale, la gestion des eaux pluviales doit reposer sur une intégration des deux approches : grises et vertes (5). Cependant, les infrastructures vertes ont un avantage indéniable : elles génèrent une panoplie de bienfaits qu’un tuyau en béton n’apporte pas! En effet, lorsqu’une ville opte pour l’augmentation de la superficie des sols perméables et l’utilisation de végétaux pour absorber et retenir l’eau, elle fait d’une pierre deux coups : elle s’attaque au risque d’inondations, mais également aux îlots de chaleurs, à la pollution atmosphérique et à la perte de biodiversité. Elle peut aussi créer de meilleurs milieux de vie en embellissant des parcs, en créant des potagers urbains, en rendant les rues plus sécuritaires et conviviales, en créant des sentiers de mobilité active, en valorisant les essences indigènes ou en réintroduisant la faune urbaine par une sélection de végétaux prisés par des animaux menacés.
L’Oasis Saint-Vallier
L’Oasis Saint-Vallier à Québec est un bel exemple d’approche intégrée. Prenant la place d’un stationnement dans les quartiers centraux, elle a été conçue avec et pour les citoyen-nes du quartier avec le soutien du programme Milieux de vie en santé de Nature Québec. Elle profite à l’ensemble de la communauté locale, tout en offrant un lieu de détente et de fraîcheur. L’ombre créée réduit la chaleur ressentie et son appréciation par les gens du quartier confirme le potentiel d’échanger éventuellement le bitume contre de la végétation permanente.
Les retombées de chaque sou investi dans la végétation urbaine sont tellement nombreuses et diverses qu’elles ont tendance à être sous-estimées (5). Par contre, si on devait offrir les mêmes services que nous rendent les écosystèmes en les remplaçant par des infrastructures grises, les coûts seraient astronomiques.
À titre d’exemple, les New-Yorkais boivent l’une des meilleures eaux du monde, alors qu’elle est puisée à même les réserves de montages sans passer par aucune usine de filtration. Si la Ville de New York devait se doter d’une telle infrastructure avec des capacités comparables, le coût estimé serait de 4 milliards de dollars pour la construction et un milliard annuellement pour l’opération (6). On comprend donc que la grande région de New York a tout intérêt à avoir des pratiques agricoles et forestières exemplaires pour que ce patrimoine naturel conserve sa fonction. Dans la même veine, des ingénieurs ont calculé qu’il faut cinq climatiseurs pour offrir un rafraîchissement comparable à un seul arbre (7). Imaginez la quantité de climatiseurs supplémentaires que cela représenterait dans les villes si les grands arbres d’aujourd’hui n’avaient pas été plantés par le passé. Comme quoi, il est parfois difficile de réaliser la valeur et l’utilité de la nature, tant nous la prenons pour acquise.
Cependant, afin d’avoir le meilleur retour sur investissement, il faut donner des conditions gagnantes aux végétaux pour se développer et ainsi offrir toute une gamme de services urbains. Parmi ces conditions, il y a les connexions des aménagements verts, la complémentarité des essences, la sensibilisation citoyenne, la qualité du sol et la croissance endogène. D’autre part, il faut limiter l’utilisation du végétal comme un objet isolé qui répond à la seule fonction esthétique et qui nécessite un entretien intensif (8). Ainsi, l’adhésion de toute une communauté est essentielle aux projets de verdissement pour obtenir cet effet de synergie provenant de l’arrimage entre les interventions privées, communautaires et publiques. Le schéma ci-dessous se veut une synthèse des avantages d’une approche harmonisée.
Pour conclure, il convient de réaffirmer l’importance d’intégrer le verdissement dans les investissements dédiés aux infrastructures urbaines. On peut commencer par des actions toutes simples, comme signer cette pétition de l’Association Canadienne des Médecins pour l’environnement https://cape.ca/verdissement-urbain/ et consulter la page du gouvernement fédéral sur les infrastructures vertes https://www.infrastructure.gc.ca/plan/gi-iv-fra.html. En misant sur des projets qui incorporent le vivant (la flore, mais aussi la faune) et qui reconnaissent ses différents rôles dans l’offre de services urbains, nous contribuons à améliorer la qualité de l’air et de l’eau, à prévenir et gérer les risques naturels, à offrir des alternatives alimentaires et en climatisation et ultimement, à une meilleure qualité de vie dans les villes.
Favoriser le verdissement urbain c’est favoriser l’optimisation des dépenses publiques et l’équité intergénérationnelle.
Références :
(1) Gouvernement du Québec, 2019. Plan québécois des infrastructures 2019-2029 / Plans annuels de gestion des investissements publics en infrastructures 2019-2020. https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/budget_depenses/19-20/fr/8-Infrastructures_publiques_Quebec.pdf
(2) Beaudoin, M. et Levasseur, M.-È. 2017. Verdir les villes pour la santé de la population, Institut national de santé publique du Québec. https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/2265_verdir_villes_sante_population.pdf
(3) Paquette, A. 2016, Augmentation de la canopée et de la résilience de la forêt urbaine de la région métropolitaine de Montréal. Sous la direction de Cornelia Garbe, Jour de la Terre et du Comité de reboisement de la CMM.
(4) Dagenais, D. et al. 2014. Implantation en milieu urbain de systèmes végétalisés de contrôle à la source des eaux pluviales dans un contexte d’adaptation aux changements climatiques : balisage des pratiques québécoises, canadiennes et internationales et développement d’un cadre d’implantation pour les municipalités du Sud du Québec. Ouranos. https://www.ouranos.ca/publication-scientifique/RapportDagenais2013_FR.pdf?fbclid=IwAR38WlB1U6sQL7qnZTaoI5y8OsjhTvSRF1oB8egilj5t-ipmubxk6UVAlAo
(5) Mccormick, K. 2020. Cities, Nature and Innovation: New Directions. Lund University.
(6) Gosselin, P. 2020. Verdir, marcher, vivre en santé, Le Soleil. https://www.lesoleil.com/opinions/point-de-vue/verdir-marcher-vivre-en-sante-697d9fe7623c4b257f97dd44ee010419?utm_campaign=lesoleil&utm_medium=article_share&utm_source=facebook&fbclid=IwAR1DTVDRge0JZlF-fd_aNvXol2Z2Q4lbXsicdvJzyZrpcYmVEchi2GG8vvY
(7) Franceinfo, 2018. Canicule : « La végétalisation est une des meilleures solutions pour rafraîchir la ville » https://www.francetvinfo.fr/meteo/canicule/canicule-la-vegetalisation-est-une-des-meilleures-solutions-pour-rafraichir-la-ville_2885669.html
(8) Parent, S. et Deshaies, P. 2020. Vers une ville du vivant, Nature Québec. https://naturequebec.org/vers-une-ville-du-vivant/?fbclid=IwAR0QQB2spE8i6A7mE-bfR1YUp93Xtpq1uAdgEd8BPpXcVgR4dtevAEHGcRM
Arnaud Thouin-Albert
Spécialiste en design et verdissement
Trois-Rivières
arnaud.thouin-albert@naturequebec.org
819 840-0423
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