Une refonte de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme est essentielle pour protéger la nature

24 août 2021
Ville et arbres se côtoient

Lorsque vous participerez à la consultation publique, nous vous invitons à vous prononcer non seulement sur la façon dont les axes et leurs orientations sont libellés, mais aussi sur les éléments que le document de consultation contient, ou ne contient pas, sur ces sujets!

En effet, l’une des principales critiques de Nature Québec et du Réseau de milieux naturels protégés concernant ce document de consultation est que celui-ci ne présente pas suffisamment d’actions concrètes pour protéger les milieux naturels!

Quelques idées pour participer à la consultation publique du Ministère des Affaires municipales et de l’Habitation si la protection des milieux naturels vous interpelle.

La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur  la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), souvent décrite comme le GIEC de la biodiversité, annonçait dans son rapport de 2019 que la nature décline à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine. Le taux d’extinction des espèces s’accélère à un point tel qu’il entraîne déjà des effets graves sur les populations humaines du monde entier. Le changement d’usage des terres est l’un des plus importants facteurs de dégradation de la nature. À titre d’exemple, les zones urbaines ont plus que doublé à l’échelle mondiale depuis 1992. Au Québec, on estime que jusqu’à 80% des milieux humides ont disparu de la vallée du Saint-Laurent en raison des activités humaines depuis l’époque de la colonisation. Comme le souligne le rapport de l’IPBES, il n’est toutefois pas trop tard pour agir, dans la mesure où nous instaurons dès maintenant, autant au niveau local que mondial, de grands changements transformateurs visant à conserver, restaurer et utiliser durablement la nature. 

Le Ministère des Affaires municipales et de l’Habitation a lancé dans les derniers mois une grande conversation dans le but d’élaborer la Stratégie nationale sur l’urbanisme et l’aménagement des territoires (SNUAT). Dans les prochaines années, cette stratégie nationale pourrait mener à une refonte de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, laquelle n’a pratiquement pas évoluée depuis son adoption en 1979. Après plus de 40 ans, il est clair que cette loi ne répond plus à certains enjeux récents, notamment liés à la crise climatique et à celle de la biodiversité.

Dans ce contexte, la SNUAT représente une occasion unique, si ce n’est ultime, de corriger les erreurs du passé et de revoir nos façons de faire en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire afin de protéger la nature et de freiner la disparition des espèces. C’est pourquoi Nature Québec et le Réseau de milieux naturels protégés saisissent l’opportunité d’exprimer le point de vue des organismes de conservation par l’entremise d’un mémoire qui sera présenté sous forme de commentaires dans le cadre de consultations web, lesquelles ont débutées le 16 août et se termineront le 10 septembre prochain. Plus précisément, ce mémoire porte sur le document de consultation de la SNUAT et est le fruit de discussions avec nos membres et affiliés œuvrant en conservation de la nature.

Il n’est pas nécessaire que vous soyez spécialiste en urbanisme, en aménagement du territoire ou encore en conservation de la nature pour faire connaître votre point de vue à la ministre et contribuer à la refonte de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme ! En guise d’inspiration pour participer vous aussi à cette consultation, voici 10 recommandations tirées de notre mémoire.

Nommer les milieux naturels pour mieux les protéger

Dans le document de consultation, il nous semble inapproprié de parler de « milieux non artificialisés », puisque cette généralisation comprend à la fois les milieux naturels (p.ex. des milieux humides), les espaces verts (p.ex. des parcs urbains) et le territoire agricole. Bien que chacun d’eux soit important, leur rôle est fort différent, de même que leur valeur d’un point de vue de la biodiversité et des services écologiques. Les considérer interchangeables dans les options d’aménagement du territoire constitue selon nous un risque bien réel.

Nous recommandons

Éviter l’utilisation du terme « milieux non artificialisés » et de plutôt distinguer chacun des milieux que ce terme englobe.

Une révision en profondeur de la fiscalité municipale

Une révision en profondeur de la fiscalité municipale s’impose en vue d’une refonte de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, pour donner aux municipalités les moyens de protéger et de mettre en valeur les milieux naturels sur leur territoire. Plusieurs de nos recommandations découlent d’ailleurs de cette révision. Par exemple, nous croyons que la stratégie nationale doit fixer des seuils minimaux de conservation selon le contexte d’utilisation du territoire, et exiger de toutes les MRC l’élaboration et la mise en œuvre de politiques permettant d’atteindre ces seuils. Cependant, cette recommandation ne peut être mise en place sans revoir au préalable la fiscalité municipale. 

Nous recommandons

La création d’un « Fonds municipal pour les milieux naturels » à partir de fonds issus de taxation et de redevances, afin de soutenir les municipalités qui agissent pour protéger les milieux naturels sur leur territoire.

La mise en place d’un mécanisme pérenne libérant les organismes de conservation qui acquiert des terrains pour les conserver du poids des taxes, tout en compensant adéquatement les municipalités.

Une révision de la Loi sur l’expropriation afin d’améliorer la protection juridique des municipalités souhaitant protéger leur territoire.

Par ailleurs, il apparaît indispensable que le Québec se dote d’un fonds dédié à l’acquisition de terrains de haute valeur écologique. Ces acquisitions devraient être réalisées à un juste prix pour les propriétaires, prix qui n’est pas dépendant des aléas de la spéculation foncière.

Une gouvernance cohérente et exemplaire

La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme doit impliquer une gouvernance cohérente et exemplaire à tous les niveaux. 

Nous recommandons

D’inscrire la protection des milieux naturels et leur connectivité par des corridors écologiques dans de nouvelles orientations gouvernementales en matière d’aménagement du territoire qui s’harmonisent aux stratégies des autres ministères, notamment celles du Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques et du Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.

La création d’une Commission de protection du territoire naturel du Québec sur le modèle de fonctionnement de la Commission de protection du territoire agricole du Québec, considérant que cette dernière a comme mission de protéger le domaine agricole québécois de la pression urbanistique.

La mise en place, à tous les échelons de gouvernance, d’un cadre réglementaire plus strict, mais adaptable aux particularités des régions et de leurs écosystèmes. Dans un contexte d’urgence climatique et de crise de la biodiversité, il ne doit plus seulement être question d’incitatifs, mais bien de réglementation. Les municipalités et les MRC doivent être mises devant leurs responsabilités et obligations en matière de conservation des milieux naturels et de protection de la biodiversité sur leur territoire, dans la mesure où on leur en donne les moyens (en référence aux recommandations précédentes sur les finances et la fiscalité).

Limiter l’étalement urbain et l’éparpillement en milieu rural

Selon nous, cet aspect doit devenir un élément-clé de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. En plus de nécessiter des investissements massifs en fonds publics, l’étalement urbain et l’éparpillement en milieu rural se font bien souvent au détriment des milieux naturels et du territoire agricole.

Nous recommandons

Éviter de parler de « croissance urbaine », mais plutôt d’une « optimisation de la densité urbaine ». Il ne fait aucun doute que les solutions à l’étalement urbain résident dans une densification des centres-villes et dans une limitation de l’expansion du périmètre urbain. Il ne faut toutefois pas perdre de vue l’importance de protéger ou de restaurer les milieux naturels résiduels de la matrice urbaine, afin notamment de maintenir les services écologiques qu’ils rendent.

Le même principe s’applique aux milieux ruraux, pour lesquels nous recommandons que les milieux bâtis existants soient consolidés, que l’utilisation des milieux anthropisés vacants soient priorisés et que les noyaux villageois soient densifiés en premier lieu. Si de nouveaux développements sont inévitables, ceux-ci devraient se faire de façon à protéger les milieux naturels existants (p.ex. via des lotissements axés sur la conservation, comme les lotissements en grappe).

Assurer l’accessibilité aux milieux naturels et aux espaces verts

parc urbain aménagé avec un sentier de bois

Enfin, un autre sujet qui nous semble incontournable en vue d’une refonte de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme est l’accessibilité pour tous et toutes aux milieux naturels et aux espaces verts, étant donné leurs bienfaits sur notre santé physique et mentale. 

Nous recommandons

L’accessibilité aux milieux naturels et aux espaces verts doit être sécuritaire, sans barrière infranchissable et à un temps de marche raisonnable pour les personnes les plus vulnérables. À cet égard, suivant les recommandations de l’OMS, une distance de 300 mètres reliant les milieux domiciliaires aux milieux naturels et aux espaces verts devrait être retenue comme référence pour tout projet de développement immobilier. Cette distance devrait être calculée en fonction de la distance réelle à parcourir.

En conclusion

Nous sommes en accord avec la vision proposée dans le document de consultation de la SNUAT et les principes qui jetteront les bases de la nouvelle Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. Considérant l’urgence climatique et la crise de la biodiversité, il est toutefois nécessaire d’aller plus vite, plus loin et avec plus de détermination et d’audace pour mettre une fois pour toute la nature au premier plan de l’aménagement du territoire. Pour que le territoire puisse contribuer positivement à la santé, à la sécurité, au bien-être et à l’épanouissement de tous et toutes à l’horizon 2042, comme le préconise la stratégie nationale, toutes les décisions liées à son utilisation doivent dès maintenant être prises en fonction de la capacité des écosystèmes à se maintenir, avant de considérer les autres impératifs d’ordre social ou économique.

Si vous souhaitez approfondir votre lecture, lisez l’intégralité de notre mémoire concernant la Stratégie nationale d’urbanisme et d’aménagement des territoires.

Pour plus d’inspiration, nous vous invitons également à participer à la séance du 25 août prochain des Midis-conservation du Réseau de milieux naturels protégés!

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Photo de Marie-Audrey Nadeau Fortin

Marie-Audrey Nadeau Fortin

Chargée de projet Conservation et Mobilisation

marie-audrey.nadeau@naturequebec.org
418 648-2104

Crédits

Rédaction : Marie-Audrey Nadeau Fortin

Révision :  Alice-Anne Simard et Brice Caillié