La nature, puissante alliée pour atténuer les changements climatiques et s’y adapter

10 septembre 2021
photo du Marais du nord par Mélanie Jean
Photo du Marais du nord par Mélanie Jean

Avez-vous déjà entendu parler des solutions fondées sur la nature (nature based solutions en anglais) pour lutter contre les changements climatiques ? Si vous répondez par la négative, vous n’êtes pas nécessairement hors champ : elles sont malheureusement peu connues et peu présentes dans le discours des décideurs.

Lorsqu’on parle d’actions climatiques, ce qui vient en premier lieu à l’esprit est la nécessaire transition que nous devons effectuer dans le domaine énergétique, tout d’abord en réduisant considérablement notre consommation d’énergie, puis en opérant un virage vers des sources d’énergies renouvelables. Certes, le secteur des énergies représente 72 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales, mais saviez-vous que près de 17 % de ces dernières proviennent de la conversion des terres, de la foresterie et de l’agriculture ?

Autrement dit, la perte des écosystèmes due aux activités humaines engendre aussi des gaz à effet de serre.  S’attaquer à cette question est donc tout aussi essentiel que de réduire drastiquement l’exploitation et l’utilisation des hydrocarbures. Plus exactement, les deux sont complémentaires. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une protection accrue des écosystèmes ainsi que leur meilleure gestion et leur restauration peuvent représenter près de 37 % de l’effort mondial nécessaire pour réduire nos émissions de GES de 55 % d’ici 2030. 

À elles seules, ces mesures correspondent donc au tiers des réductions de GES à effectuer dans les années à venir. Voici grosso modo ce qu’on désigne sous l’appellation de « solutions fondées sur la nature pour le climat » (SNC) et au Canada, une étude récente a établi qu’on pourrait réduire nos GES de l’ordre de l’équivalent de 21 millions de véhicules par année jusqu’en 2030 (78,2 Mt éq CO₂/an) grâce à elles. Il importe toutefois d’aller un peu plus loin.

Qu’entend-on par solutions fondées sur la nature?

Les solutions fondées sur la nature pour le climat sont un ensemble d’actions mettant de l’avant les écosystèmes dans la lutte aux changements climatiques. Elles reposent sur 3 principes : la protection, la meilleure gestion et la restauration des milieux naturels afin de limiter les émissions de GES et de s’adapter aux conséquences des changements climatiques. Elles s’appliquent tant aux secteurs de l’agriculture, de la foresterie et de l’aménagement urbain, que de la restauration des milieux dégradés, comme les milieux humides. Contrairement aux technologies humaines et aux infrastructures grises, elles génèrent plusieurs cobénéfices pour la biodiversité et les populations humaines.

Les trois axes d’interventions

Protéger

et conserver les milieux naturels. Chaque forêt, boisé, tourbière, marais salé ou d’eau douce, etc. est un puits de carbone en soi, c’est-à-dire que chacun de ces milieux a un potentiel de captation et de stockage du carbone. Ne pas détruire ces milieux permet ainsi de conserver leurs fonctions et d’éviter le relargage du carbone dans l’atmosphère. Comme exemple de solutions fondées sur la nature dans ce domaine, on peut nommer le développement d’un réseau d’aires protégées ou encore la conservation de forêts anciennes et de tourbières.

Améliorer la gestion

des forêts et des terres agricoles. Le développement de la foresterie et de l’agriculture empiète inévitablement sur les milieux naturels et c’est pourquoi revoir certaines pratiques est essentiel pour i) minimiser le relargage du carbone créé par la conversion des sols, ii) diminuer les émissions de GES liées aux pratiques elles-mêmes (ex. machinerie, transport des ressources) et iii) accroître le potentiel de captation et de stockage de ces activités. Parmi les solutions à envisager, il y a notamment l’augmentation des cultures de couverture (ex. les légumineuses) ou encore l’amélioration de la gestion des nutriments et la plantation de haies brise-vent en milieu agricole. Concernant les forêts, augmenter le taux de croissance des nouveaux arbres dans les zones exploitées est aussi un exemple.

Restaurer

les écosystèmes. Les causes de leur destruction sont nombreuses, mais une chose est certaine, nos milieux naturels sont mal en point et peinent de plus en plus à assurer leurs différents services écosystémiques (puits de carbone, filtration des eaux de pluie, habitats essentiels des espèces, santé des populations, etc.). Leur restauration permettra donc non seulement d’accroître leur potentiel d’atténuation, mais également de rétablir d’autres fonctions écologiques qui nous permettront de mieux nous adapter aux changements climatiques. Il en va ainsi de la plantation d’arbres en ville ou encore de la restauration de milieux humides qui permettront, pour la première, de lutter contre les îlots de chaleur et, pour la seconde, d’accroître la capacité de filtration des eaux lors d’épisodes de plus en plus fréquents d’inondations.

Au-delà des réductions de GES, engendrer des cobénéfices

Telles que définies par l’UICN, les solutions fondées sur la nature présentent un avantage de taille par rapport à la plupart des solutions technologiques : elles engendrent des cobénéfices en s’attaquant du même coup à la crise de la biodiversité et à l’amélioration du bien-être des populations. Il s’agit en fait d’un critère pour qu’elles soient considérées efficaces.  

En juin dernier, la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) publiait pour la première fois un rapport en collaboration avec le GIEC où les deux instances affirmaient de concert : « La perte de biodiversité et le changement climatique sont des menaces inséparables pour l’humanité qui doivent être traitées ensemble. » Juste pour donner un ordre de grandeur, au Québec, en ce moment, il y a environ trois cents espèces à statut, ce qui signifie espèces vulnérables, en péril, menacées ou en voie d’extinction selon l’une ou l’autre des lois québécoise ou canadienne. Les trois axes d’intervention des solutions fondées sur la nature doivent donc être pensés aussi dans une perspective de protection de la biodiversité. 

Prenons un exemple. En Nouvelle-Écosse, en restaurant une plante aquatique, la zostère, on agit en termes d’atténuation des GES (la zostère a de grandes capacités d’absorption de carbone), d’adaptation aux changements climatique (la plante permet de limiter l’érosion côtière due aux tempêtes qui se multiplient) tout en protégeant l’habitat essentiel du homard et d’autres espèces de poissons importantes pour l’économie de la pêche locale, incluant celle des Premières Nations. 

Ce cas nous amène à l’autre bénéfice des solutions fondées sur la nature pour le climat, celui d’agir au niveau du bien-être des populations. Dans l’exemple précédent, nous pouvons observer comment l’implantation d’une solution nature pour le climat aide également à une économie résiliente. Mais le bien-être concerne aussi et surtout la santé. On a pu le constater pendant la pandémie : la protection et la restauration des milieux naturels, de surcroît à proximité des villes, permettent aux populations urbaines et en général d’accéder aux espaces verts et d’en tirer les bénéfices pour leur santé mentale et physique.

Les pièges à éviter

Comme pour tout nouveau concept, les solutions fondées sur la nature pour le climat font face à un risque de récupération et de détournement. Nous le constatons déjà. Dans la course à la carboneutralité, la comptabilisation et la compensation des émissions de gaz à effet de serre sont des enjeux centraux. De ce fait, certains pourraient ne pas hésiter à se servir des solutions fondées sur la nature dans une perspective d’écoblanchiment (greenwashing) tout en continuant à exploiter ou à utiliser les énergies fossiles. C’est pourquoi, nous insistons sur le fait que leur implantation doit obligatoirement s’accompagner d’une réduction nette et drastique des émissions de GES, particulièrement dans le secteur des énergies fossiles.  Le contraire entraînerait une augmentation des émissions et pourrait nous détourner des changements systémiques à opérer pour une véritable transition écologique et sociale.  

En outre, plus nous allons tarder à diminuer radicalement nos émissions, plus les impacts des dérèglements climatiques sur les milieux naturels vont s’intensifier (feux de forêts, épidémies d’insectes ravageurs, sécheresses, maladies, etc.) et plus ces derniers perdront leurs capacités de captation et de stockage du carbone pour au contraire le relarguer, propulsant ainsi la crise climatique dans un véritable cercle vicieux. 

Enfin, des solutions fondées sur la nature mal implantées pourraient avoir des effets néfastes sur la biodiversité ou encore violer certains droits humains. Par exemple, des plantations d’arbres inappropriés sur des prairies ou des tourbières pourraient au final ajouter plus de carbone dans l’atmosphère qu’en retirer tout en détruisant des habitats essentiels pour certaines espèces.

Une gouvernance inclusive pour une implantation réussie

Face à ces dangers, l’inclusion de toutes les parties prenantes concernées par l’implantation des solutions fondées sur la nature est nécessaire, et ce, à toutes les étapes du processus. Cela en garantira également l’acceptabilité sociale et la pérennité. Concrètement, cela signifie de mettre en œuvre dès le départ des mécanismes favorisant la participation pleine et entière de tous les acteurs concernés. De plus, quand l’implantation d’une solution nature pour le climat concerne ou a des impacts sur les terres des Premières Nations, leur participation doit être fondée sur le respect du droit des peuples autochtones à un Consentement Préalable, Libre et Éclairé (CPLE).

Ensemble, passons en mode solutions nature

Durant les trois prochaines années, Nature Québec et la Société pour la Nature et les Parcs (SNAP Québec) passent en mode solutions nature. Par une campagne de sensibilisation et l’accompagnement de projets vitrines dans neuf municipalités et une MRC, ce projet propose d’évaluer et de faire connaître le potentiel des écosystèmes dans la mitigation et l’adaptation aux changements climatiques sur le territoire québécois.

Pour en savoir plus: www.solutions-nature.org

Anne-Céline Guyon

Anne-Céline Guyon

Chargée de projet climat

anne-celine.guyon@naturequebec.org
581 989-0815

Crédits

Rédaction : Anne-Céline Guyon

Révision :  Gabriel Marquis et Sarah Provencher