L’Alliance Nouvelles voies, les pollueurs impunis

12 novembre 2024

L’Alliance Nouvelles voies, c’est un regroupement des 6 entreprises qui produisent 95 % du pétrole des sables bitumineux du Canada. Ces compagnies continuent de produire plus et de polluer plus… intensifiant les crises climatiques et de biodiversité.

On a une bonne nouvelle. Les données de l’Institut climatique du Canada montrent qu’on commence collectivement à inverser la tendance et à réduire nos émissions de gaz à effet de serre (1). Enfin ! De 708 millions de tonnes de dioxyde de carbone par an en 2022, on est passé à 702 en 2023, ce qui représente une baisse d’un petit pour cent.

1 % nous direz vous… Nous devrions minimalement les baisser de 7 % annuellement pour atteindre l’objectif de 40 % de réduction d’ici 2030. Nous sommes loin du compte, mais il faut savoir qu’un secteur en particulier freine l’amélioration de notre bilan.

Alors, QUI plombe nos efforts collectifs ?

La sale histoire de l’industrie pétrolière et gazière

Pas besoin de chercher très loin pour trouver les responsables des plus grosses émissions GES du pays. Depuis les 1ers recensements annuels du gouvernement en 2005, un secteur sort grand gagnant, sans surprise, c’est celui du secteur pétrolier et gazier canadien. À lui seul, il représente 31 % des émissions de GES du Canada en 2023.

Mais quand on y regarde de plus près, c’est la production du pétrole des sables bitumineux qui est particulièrement problématique. Or, il faut savoir que dans ce sous-secteur, six entreprises se partagent à elles seules 95 % de la production. Ces six entreprises sont responsables d’environ 1/10 ème des émissions de GES du Canada. Oui, vous avez bien lu…

6 entreprises = 1/10 ème des émissions de GES ! Et pour défendre leurs intérêts, ces mégaentreprises se sont regroupées en une entité qu’elles ont nommée l’Alliance Nouvelles voies.

Le saviez-vous?

Dans le secteur de l’exploitation du pétrole, un dérivé remporte la palme du plus polluant : les sables bitumineux. Il s’agit du pétrole le plus sale de la planète puisqu’il faut passer par beaucoup d’étapes très polluantes pour extraire, transformer et raffiner le pétrole issu de ces sables argileux. Au Canada, la plupart des réserves de pétrole sont issues des sables bitumineux.

Serrons la vis aux pétrolières et gazières

Les pétrolières et gazières canadiennes ont augmenté leurs GES de 83% entre 1990 et 2022. Nous payons pour les crises dont elles sont responsables. Ça suffit!

L’Alliance Nouvelles voies, comme lobby pétrolier

On pourrait croire qu’avec un tel bilan environnemental, les entreprises pétrolières auraient décidé d’agir. D’ailleurs, depuis 2021, les 6 entreprises pétrolières se sont regroupées dans le consortium Alliance Nouvelles voies, dont la mission telle qu’annoncée officiellement consiste à combiner les forces des membres pour permettre une réduction de 22 millions de tonnes de CO2 d’ici 2030 de leurs opérations et atteindre la carboneutralité d’ici 2050.

Et jusqu’à récemment, l’Alliance ne se refusait rien pour faire passer le message. À grand renfort de publicités dans les médias traditionnels, sur les réseaux sociaux ou encore en achetant du temps publicitaire lors de grands événements comme le Super Bowl (2), l’Alliance a dépensé des millions de dollars afin de convaincre le public que les entreprises des sables bitumineux faisaient partie de la solution environnementale et s’étaient réellement engagées dans l’action climatique.

Cependant, un « petit » caillou est venu se glisser dans leur engrenage bien huilé … la modification de la loi C-59 sur la concurrence. Grâce à nos collègues de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement (CAPE), Écojustice, Équiterre et le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), cette loi est maintenant amendée et comporte une disposition sur la vérité dans la publicité obligeant les entreprises à fournir des preuves de leurs prétentions environnementales. En gros, les entreprises ne pourront plus mentir au sujet de leurs engagements environnementaux. 

Résultat : le jour même où le projet de loi a été adopté, l’Alliance Nouvelles voies a supprimé beaucoup de contenus de  son site internet et retiré toutes ses publications sur ses réseaux sociaux. Un retrait qui en dit long sur les intentions de l’industrie. 

La vérité est que l’Alliance Nouvelles voies continue de polluer et d’augmenter ses émissions de GES année après année. Le secteur des sables bitumineux a connu une augmentation de ses émissions de 1,8% entre 2022 et 2023.

Une stratégie d’influence qui porte fruit

L’idée d’encadrer les compagnies pétrolières et gazières n’est pas nouvelle : ça fait des décennies que les organisations environnementales le demandent aux gouvernements. Sauf que l’industrie sait user de ses ressources pour déjouer les politiques climatiques. Et l’Alliance Nouvelles voies a développé une stratégie d’influence qui semble porter fruits.

Des politiques et réglementations retardées et complaisantes

L’Alliance semble championne en lobbyisme. Avec ses 46 rencontres auprès des fonctionnaires, député-e-s et ministres entre janvier et juin 2024, elle réussit à retarder tranquillement l’encadrement des entreprises fossiles.

Résultat? Les politiques et réglementations climatiques fédérales accusent de nombreux retards dans leur élaboration et leur mise en œuvre, comme c’est le cas pour le fameux règlement sur le plafonnement et la réduction des émissions du secteur fossile canadien.

On attend aussi toujours la fin du financement public du secteur des combustibles fossiles qui avait été annoncé par le gouvernement fédéral pour 2024.

Des passes-droits et exemptions qui ne devraient pas être

L’industrie a également obtenu de nombreux passe-droits réglementaires. Par exemple, les projets contenant des technologies de captation et de séquestration du carbone ou encore ayant recours à la compensation carbone (crédits carbone)sont souvent exemptés de la réglementation mise en place dans les dernières années. Les politiques publiques climatiques sont aussi truffées de souplesses en matière de temps donné à l’industrie pour se conformer aux nouvelles règlementations et ce, en dépit de la cible climatique de 2030.

Des subventions accordées à des entreprises aux profits records

On assiste à un véritable siphonnage d’argent public. Les subventions publiques pour les projets de carboneutralité de l’industrie pleuvent, notamment pour le développement des technologies de captation et de séquestration du carbone, malgré le fait qu’il ne s’agit pas d’une solution à privilégier selon Nature Québec.

Entre 2000 et 2022, les gouvernements fédéraux et provinciaux ont débloqué 5,8 milliards de dollars pour l’industrie pétrolière. Et ce, malgré tous les bénéfices records que l’industrie a faits ces dernières années!

Conclusion

L’objectif réel de l’Alliance Nouvelles voies est donc moins d’atteindre la carboneutralité que d’influencer les décideur-euse-s et la population canadienne afin de contrer les politiques climatiques qui pourraient avoir un impact sur la production pétrolière et gazière au pays. 

Les compagnies pétrolières tentent par tous les moyens de nous persuader qu’elles n’ont pas besoin de réglementation en prétextant qu’elles font déjà les efforts nécessaires pour diminuer leurs émissions de GES. Il n’y a rien de plus faux. Les données nous le prouvent. Nous avons besoin de réglementations fortes. Le règlement sur le plafonnement et la réduction des émissions de GES du secteur des combustibles fossiles canadiens pourrait changer la donne. Il est temps de faire cesser leur impunité. Il est temps d’exiger que les gros pollueurs fassent leur part!

Crédits

Rédaction : Anne-Céline Guyon, Analyste énergie et climat

Révision : Lucie Bédet, Chargée de communication