Foire aux questions

Défendons l’avenir de la forêt

La forêt et ses menaces

Quel type de forêts avons-nous au Québec et où se trouvent-elles ?

Au Québec, on compte grosso modo trois types de forêts : les forêts feuillues (au sud du Québec), les forêts boréales (au nord du 48e parallèle) et les forêts mixtes qui représentent une zone de transition entre les deux premières.

Elles se distinguent par leur localisation géographique, leur climat, le type d’arbres qu’on y retrouve et les menaces auxquelles elles font face. 

Qu’est-ce qu’une vieille forêt et pourquoi la conserver ?

Comme son nom l’indique, une vieille forêt (aussi appelée forêt ancienne ou mature) est une forêt où il n’y a eu aucune ou très peu de perturbations humaines. On y retrouve des arbres de tous les stades de vie. Parmi les vieilles forêts les plus connues, on peut citer la forêt ancienne du Réservoir-Pipmuacan (Saguenay–Lac-Saint-Jean), la forêt ancienne des Monts-Chic-Chocs (Bas-Saint-Laurent) ou encore la forêt ancienne de Duchesnay (Capitale-Nationale). Ces forêts représentent des joyaux de la biodiversité avec des écosystèmes très complexes. Par définition, elles ne peuvent être « remplacées » en quelques années. Malheureusement, elles se font de plus en plus rares au Québec en raison de la récolte forestière et de l’étalement urbain. C’est pourquoi il est urgent de les conserver.

À quelles menaces font face les différentes forêts du Québec ?

Les menaces auxquelles sont confrontées les forêts du Québec varient en fonction de la zone dans laquelle elles se trouvent. Par exemple, pour les forêts de feuillus du sud du Québec et les forêts mixtes, les grands vents (chablis), les espèces exotiques envahissantes et le verglas représentent les principales perturbations naturelles auxquelles s’ajoutent les activités humaines comme l’exploitation forestière sélective, la déforestation liée à l’étalement urbain et à la conversion en terres agricoles.

Pour la forêt boréale, les feux de forêt, les épidémies d’insectes indigènes, l’exploitation forestière intensive et le développement minier sont les principaux perturbateurs.

Dans tous les cas, il est important de comprendre que les perturbations naturelles font partie du cycle des forêts. Elles sont normales. Cependant, nos activités sont en train de bouleverser ce cycle. Elles rendent les forêts moins résilientes, tout en amplifiant les perturbations climatiques, devenant insoutenables pour la forêt.

Quels sont les impacts de l’appauvrissement des forêts sur l’économie et la sécurité du Québec et des régions ?

Plus la forêt est perturbée, moins elle est résistante aux feux de forêt, aux maladies et aux épidémies d’insectes. Ces forêts appauvries ont nécessairement des valeurs économiques et socioécologiques moindres.

Tout d’abord, la détérioration des forêts risque de réduire le volume et la qualité du bois récoltable par l’industrie forestière. Il en va de même pour des activités comme le plein air, la chasse et la villégiature qui deviennent moins intéressantes dans une forêt détériorée. À terme, des emplois et des modes de vie sont menacés dans les régions où l’économie s’est bâtie autour de la forêt.

Ensuite, des forêts plus vulnérables aux feux mettent en péril la sécurité des communautés avoisinantes et plus globalement, la santé de millions de Québécois-es. À l’été 2023, 4,5 millions d’hectares ont brûlé, déplaçant temporairement 27 000 personnes dans 27 municipalités, entraînant des pertes se chiffrant en milliards pour l’économie et causant des épisodes de smog avec des taux record de particules fines, touchant l’ensemble des régions du Québec.

Finalement, la dégradation de la forêt et de sa biodiversité a des répercussions politiques. Lorsqu’elle n’est pas prise au sérieux, elle impose des arbitrages douloureux de dernière minute entre certaines activités économiques et les obligations légales de protection du territoire et de la biodiversité (ex. la prise d’un décret pour la protection d’une espèce comme le caribou).

Les pratiques forestières

Où trouve-t-on les coupes forestières au Québec ?

Les coupes forestières sont distribuées un peu partout (en terres forestières privées et publiques) sur le territoire québécois à l’intérieur des limites de la forêt. Pour la foresterie publique, la zone de forêts « attribuables » s’étend jusqu’au 51 et 52e parallèle, soit environ jusqu’au réservoir Manicouagan ou encore jusqu’au lac Mistassini.

Quelle quantité de bois est coupée au Québec ?

À l’heure actuelle, on estime que les forêts du Québec sont coupées au rythme de plus de 1000 terrains de football par jour. Cette estimation, nous l’obtenons en transposant le chiffre d’hectares coupés en une année à un chiffre d’hectares coupés par jour au Québec. Concrètement, en 2022, 210 159 hectares de bois ont été récoltés au Québec. On sait qu’un hectare couvre la superficie de 1,9 terrain de football américain. Pour 2022, c’est donc une superficie équivalente à 400 000 terrains de football qui ont été coupés au Québec en forêt publique et privée. Si on transpose ce chiffre annuel à une statistique par jour, on arrive à une moyenne représentant la superficie de 1093 terrains de football. À savoir : les coupes forestières ont surtout lieu l’hiver et il n’y a pas forcément de coupes forestières tous les jours. Il faut donc prendre ce calcul pour ce qu’il est : une représentation visuelle quantifiable et vulgarisée de la superficie de forêt récoltée au Québec.

Qu’est-ce que la foresterie publique au Québec et où se trouve-t-elle ?

La foresterie publique, qu’on appelle aussi « aménagement forestier public », est le processus de planification de l’aménagement du territoire forestier public (particulièrement pour l’exploitation forestière). Elle ne concerne donc pas la foresterie en terres privées (que l’on retrouve aussi, mais à beaucoup plus petite échelle). Au Québec, la foresterie publique est régie par la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (2013) et touche toutes les terres publiques sous la limite des 51e et 52e parallèles. Les régions principalement concernées sont le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie, le Saguenay–Lac-Saint-Jean, la Côte-Nord, la Mauricie, l’Outaouais et l’Abitibi-Témiscamingue.

La foresterie publique est-elle une activité menée par l’État, à l’image de la production d’hydroélectricité par Hydro-Québec ?

Non. Malgré son nom, il n’y a pas de société d’État qui mène des coupes en foresterie publique. Ce sont plutôt des entreprises privées et des coopératives. Il s’agit donc d’une activité économique privée, mais qui a lieu sur des terres publiques.

Comment fonctionne la foresterie publique ?

En foresterie publique, le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) est responsable de la planification forestière, incluant l’élaboration des cadres légaux, des objectifs de conservation et de mise en valeur, ainsi que l’approbation des plans d’aménagement forestier intégré (PAFI). Le PAFI stratégique détermine les orientations sur 25 ans, tandis que le PAFI tactique précise les interventions sur 5 ans. Les tables de gestion intégrée (TGIRT) facilitent la consultation des usagers-ères. Le Bureau du Forestier en chef détermine la quantité de bois pouvant être récoltée dans les forêts publiques sans théoriquement compromettre leur renouvellement. Ce calcul est basé sur des modèles prenant en compte la croissance forestière, l’environnement et les besoins économiques, et est révisé tous les 10 ans. Les entreprises forestières titulaires de droits forestiers consentis sont responsables de la coupe du bois selon les normes du MRNF. Elles suivent les plans d’aménagement et délèguent souvent les coupes à des sous-traitants.

Le bois est transformé par des scieries, des usines de pâte et papier, ainsi que des usines de panneaux. Il est vendu sur le marché libre, exploité par les bénéficiaires de droits forestiers ou mis aux enchères par le Bureau de mise en marché des bois (BMMB).

Le reboisement en forêt publique est une responsabilité légale des entreprises forestières, sous la supervision du gouvernement, qui finance grandement certains programmes. Des groupes environnementaux contribuent à la restauration de milieux dégradés, mais leur rôle dans le reboisement industriel reste limité.

Comment les pratiques forestières fragilisent-elles l’état des forêts ?

De plusieurs manières. Premièrement, certaines pratiques limitent la capacité de régénération naturelle des forêts. Les coupes totales — désormais appelées coupes avec protection de la régénération et des sols (CPRS) — peuvent mener à un niveau de coupe trop élevé, laissant peu d’arbres semenciers. Les efforts de reboisement misent aussi parfois sur des essences d’arbres qui peuvent prendre plusieurs décennies avant de se reproduire. Combinées à l’augmentation des feux de forêt avec les changements climatiques, ces pratiques compromettent les chances de régénération naturelle des forêts.

Ensuite, le régime forestier en place tend à augmenter la superficie de forêts secondaires au détriment des vieilles forêts, qu’il peine à protéger. Une forêt coupée et aménagée devient une « forêt secondaire », moins résiliente aux changements climatiques, aux maladies et insectes ravageurs, moins performante économiquement et moins intéressante pour la biodiversité.  

Également, les pratiques forestières actuelles créent des forêts résiduelles, morcelées par de nombreux chemins forestiers (près de 550 000 km de chemins forestiers en 2024). Mis bout à bout, il y a assez long de chemins forestiers au Québec pour faire 13 fois le tour de la Terre ! Une fois morcelées, les forêts peinent à demeurer des habitats viables pour de nombreuses espèces, dont les caribous forestiers. 

Enfin, certaines pratiques comme la mauvaise récolte des résidus forestiers peuvent priver les sols en nutriments, ce qui limite d’autant plus la croissance des nouveaux arbres.

De manière générale, ces pratiques appauvrissent les forêts sur les plans de la biodiversité et de la valeur économique. Elles compromettent aussi leur résilience face aux perturbations naturelles amplifiées dans les changements climatiques.

Les pratiques forestières se sont-elles améliorées ?

Oui, mais pas suffisamment et pas assez rapidement pour faire face aux défis environnementaux que nous vivons.

Depuis les années 1930, nous sommes passés d’un système des concessions forestières, où les compagnies forestières avaient le droit d’exploiter leur partie de la forêt comme elles le souhaitaient, à un régime de Contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF) dans les années 1980. Si celui-ci est venu encadrer la quantité de bois pouvant être récoltée (Rheault, 2013), l’objectif principal demeurait de garantir un approvisionnement en bois stable pour l’industrie.

C’est par ailleurs ce régime qui a été fortement dénoncé dans le documentaire l’Erreur boréale de Richard Desjardins et Robert Monderie (1999), alors que l’on a commencé à voir de grosses entreprises forestières surexploiter les forêts et faire des coupes à blanc, grâce au perfectionnement de la machinerie forestière.

Cette indignation, portée par la société civile et des groupes comme Nature Québec, a débouché à la mise sur pied de la Commission Coulombe en 2003, et à une grande réforme du régime forestier concrétisée par l’adoption unanime par l’Assemblée nationale de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (LADTF) en 2010.

Ce régime, qui est encore en vigueur aujourd’hui, introduit le concept de l’aménagement écosystémique, encore considéré comme une importante victoire environnementale. Ceci dit, celui-ci ne règle pas tous les problèmes et aurait dû être considéré comme un point de départ et non une finalité. Aujourd’hui, la multiplication des enjeux appelle à une protection beaucoup plus ambitieuse des forêts et une modernisation de la foresterie.

L’industrie forestière québécoise est-elle carboneutre ?

L’industrie forestière prétend être carboneutre, voire « carbonégative ». Est-ce vrai ? Pas tout à fait !

Les forêts captent et rejettent naturellement du carbone tout au long de leur cycle de vie, mais on tend à considérer les forêts comme des puits de carbone (séquestrent plus de carbone qu’elles n’en rejettent). Les prétentions de l’industrie forestière reposent sur trois bases : (1) lorsqu’elle coupe un arbre, celui qui repousse capte du carbone ; (2) le matériau issu du bois coupé séquestre ce carbone tant qu’il ne brûle pas ou ne se décompose pas ; (3) le bois de construction remplace des matériaux très émetteurs comme le ciment et l’acier. Selon ce raisonnement, couper des arbres serait carboneutre et l’utilisation du bois de construction réduirait même les émissions de GES.

Or, cette vision ignore plusieurs réalités :
Premièrement, les pratiques forestières actuelles libèrent du carbone. La machinerie perturbe les sols, relâchant du CO2 non comptabilisé dans les calculs actuels. De plus, quand on coupe une forêt, les résidus de coupe (branches, feuilles, écorces, essences économiquement non rentables) sont la plupart du temps laissés sur le parterre de coupe et s’y décomposent, ce qui libère aussi du carbone. La machinerie utilise aussi des énergies fossiles pour fonctionner, ce qui libère également du CO2.

Deuxièmement, en coupant trop de « vieilles forêts », l’industrie contribue à un rajeunissement des forêts (forêts secondaires) qui sont beaucoup moins efficaces pour capter le carbone. En effet, d’après une étude effectuée dans la sapinière à bouleau blanc de la forêt Montmorency, lorsqu’une forêt est coupée, elle devient une source nette de carbone, et ce, jusqu’à ce que les peuplements atteignent en moyenne 26 ans.

Troisièmement, les changements climatiques transforment les forêts de puits de carbone à émettrices de carbone. Les incendies de forêt record de 2023 au Canada auraient généré 2,98 milliards de tonnes métriques de CO2, soit l’équivalent des émissions de 647 millions de voitures. Par ses pratiques, l’industrie forestière rend les forêts plus vulnérables à ces événements extrêmes et contribue indirectement à un cercle vicieux.

Quand on prend en considération ces éléments, les prétentions carboneutres de l’industrie peinent à tenir la route. D’ailleurs, les méthodes de calcul des GES du secteur par le gouvernement canadien sont contestées. Selon Nature Canada, Nature Québec et le Natural Resources Defense Council, l’industrie forestière canadienne aurait émis l’équivalent de 147 Mt de CO2 en 2022, soit beaucoup plus que l’industrie lourde (78 Mt d’éq. CO2) ou que l’agriculture (70 Mt d’éq. CO2).

Qu’est-ce que l’aménagement écosystémique ? Est-il efficace et pourquoi est-il menacé ?

Hérité de la Commission Coulombe (2003) et de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (LADTF) (2010), l’aménagement écosystémique consiste à assurer le maintien de la biodiversité et la viabilité des écosystèmes en diminuant les écarts entre la forêt secondaire (forêt où il y a des interventions forestières) et la forêt initiale (forêt où seulement les perturbations naturelles régissent l’écosystème). Plus concrètement, cela signifie que les opérations forestières vont tenter de simuler les perturbations naturelles qu’on retrouverait dans des forêts non exploitées. Il s’agit d’un acquis environnemental important.

Cependant, dans un contexte de surexploitation des forêts et de changements climatiques, cette pratique n’est plus suffisante et n’empêche pas la perte des vieilles forêts. L’aménagement écosystémique, tout aussi important soit-il, devrait donc s’accompagner d’un recalibrage en faveur de la conservation.  

Or, après des années de mauvaise gestion tant de l’industrie que du gouvernement et d’avertissements ignorés, la situation s’est aggravée : l’appauvrissement des forêts combiné à la crise climatique et à des contraintes économiques (baisse de la demande en pâtes et papiers, menaces de tarifs, etc.) a rendu le bois réellement rentable plus rare. Plutôt que d’adapter son modèle économique et ses pratiques, l’industrie en profite pour faire pression sur le gouvernement du Québec afin qu’il allège les contraintes liées à l’aménagement écosystémique et à la conservation, lui permettant ainsi d’exploiter les dernières vieilles forêts encore intactes.

L’économie liée à la forêt

L’industrie forestière est-elle un moteur économique au Québec ?

L’industrie forestière a joué un rôle crucial dans l’histoire et le développement du Québec, notamment dans le peuplement des régions. Cependant, économiquement parlant, cette industrie voit sa contribution diminuer avec le temps. En 2016, elle représentait 2,2 % du PIB du Québec, mais cette part a chuté à 1,7 % en 2023. Cette baisse souligne que l’industrie forestière n’est plus le pilier économique qu’elle était autrefois.

Cela se manifeste également par la réduction du nombre d’emplois. Entre 1990 et 2010, environ 37 736 emplois ont été perdus en raison de l’évolution du marché. La diminution continue avec 1 861 emplois perdus en 2023 par rapport à l’année précédente.

L’économie des régions dépend-elle de l’industrie forestière ?

Oui et non…

Bien que l’industrie forestière ne constitue qu’une petite fraction du PIB provincial (1,8 % en 2022), certaines municipalités québécoises en dépendent encore fortement. D’après une étude de 2020 de l’IRIS, environ 14 % des municipalités présentent une forme de dépendance, qu’elle soit légère (8,5 %) ou importante (5,5 %), à l’industrie de l’exploitation forestière. Les économies locales et régionales de ces municipalités tirent une part importante de leurs revenus de cette industrie. Cependant, plusieurs de ces régions tirent également des bénéfices économiques du tourisme récréatif qui, lui, dépend d’une forêt et de paysages attrayants. Dans les deux cas, une forêt en bonne santé est un avantage à long terme.

Nature Québec comprend pleinement les craintes des travailleur-euse-s qui vivent dans ces régions et voient l’industrie forestière comme un pilier de leur économie locale. C’est pourquoi nous estimons qu’il est primordial de soutenir une transition juste vers une foresterie durable, tout en mettant l’accent sur la diversification économique.

L’industrie forestière québécoise est-elle exemplaire à l’échelle mondiale ?

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le Québec et Canada ne sont pas exemplaires au niveau de la foresterie. Récemment, plusieurs chercheur-euse-s et organismes à l’international ont exprimé leur mécontentement sur la manière dont le Canada exploite ses forêts. D’ailleurs, le Canada et son industrie forestière font pression contre la nouvelle réglementation de l’Union européenne visant à interdire sur son marché les produits issus de la déforestation et la dégradation des forêts, craignant que le bois canadien puisse être concerné.

Bien que des avancées aient été réalisées au fil des décennies, nos pratiques forestières restent insuffisantes face à l’urgence climatique et à la crise de la biodiversité. Adapter notre modèle forestier est avant tout une nécessité écologique incontournable, mais aussi une opportunité pour assurer la résilience des forêts et la viabilité de la filière. Sur les marchés internationaux, nous aurions tout à gagner à nous distinguer par des pratiques réellement durables, alignées sur les exigences environnementales actuelles.

Les mesures environnementales sont-elles responsables de la perte d’emploi en foresterie ?

Non. Ou alors très peu. Dans les faits, dans les dernières décennies, pas suffisamment d’actions ont été prises pour créer des aires protégées et conserver les forêts matures dans les limites de la forêt exploitable. C’est l’un des principaux enjeux de notre campagne. L’industrie forestière a déployé un imposant lobbying afin de bloquer plusieurs projets d’aires protégées au sud du 49e parallèle et retarder l’adoption d’une stratégie pour protéger le caribou.

L’industrie forestière au Québec traverse une crise profonde. Elle est confrontée à la concurrence internationale, aux tarifs américains, à la baisse de la demande de produits forestiers, à la mécanisation, et aux fermetures d’usines. Elle subit aussi la dégradation et la perte de valeur des forêts, accentuées par les changements climatiques (feux, maladies, espèces invasives) et ses propres mauvaises pratiques.

Aujourd’hui, l’industrie cherche à attribuer ses difficultés aux mesures environnementales, alors qu’une modernisation aurait pu atténuer bon nombre des impacts qu’elle dénonce.

Quel est l’impact des tarifs de Trump sur l’industrie forestière québécoise ?

Bien avant la nouvelle présidence de Trump, les tarifs imposés par les États-Unis sur le bois d’œuvre canadien ont fragilisé l’industrie forestière au Québec en augmentant considérablement le coût d’exportation vers ce partenaire commercial. Depuis août 2024, les États-Unis imposent des droits compensateurs et antidumping, qui seraient revus à la hausse, de 14,5 % sur les importations de bois d’œuvre canadien. La menace de l’administration Trump supplémentaire de 25 % porterait ces tarifs à près de 40 %, rendant le bois d’œuvre québécois moins compétitif face aux producteurs américains.

Une augmentation des tarifs douaniers américains pourrait entraîner une baisse des exportations, mettant en péril des milliers d’emplois, notamment dans les régions dépendantes de l’industrie forestière. Certaines scieries risquent de réduire leur production, voire de fermer, aggravant ainsi l’incertitude économique pour les travailleur-euse-s et leurs communautés.

Considérant les menaces tarifaires, devrait-on diminuer les normes environnementales pour protéger les emplois forestiers ?

Non, cette approche risquerait d’aggraver la vulnérabilité de l’industrie forestière québécoise à long terme. Plutôt que de chercher à produire toujours plus pour compenser les pertes liées aux tarifs, il faut diversifier nos marchés et nos économies locales. Il faut également adopter une approche misant sur la prévisibilité, la transformation locale et les produits forestiers à valeur ajoutée. Cette position est par ailleurs celle de syndicats représentant les travailleur-euse-s de la forêt au Québec.

Pour être compétitive et durable à long terme, la filière bois doit s’assurer que ses pratiques respectent la capacité de support des écosystèmes et la biodiversité. Une exploitation forestière responsable et socialement acceptable garantira un accès plus stable aux marchés internationaux, qui sont de plus en plus exigeants en matière de critères environnementaux. C’est notamment le cas de l’Union européenne, qui met en place une nouvelle réglementation interdisant l’importation de produits issus de la déforestation ou de la dégradation des forêts, imposant ainsi des exigences accrues en matière de traçabilité et de durabilité aux pratiques forestières.

Le Québec doit aussi encourager une transformation locale de la ressource, en favorisant des produits à plus forte valeur ajoutée plutôt qu’une simple exportation de bois brut. Cela permettrait de maintenir davantage d’emplois en région et de renforcer l’économie locale tout en réduisant la dépendance aux exportations de bois d’œuvre vers les États-Unis.

Doit-on cesser la foresterie au Québec ?

Absolument pas ! La foresterie reste et restera une avenue économique importante dans plusieurs régions du Québec, en tant que ressource renouvelable. Cependant, à la lumière des enjeux que les changements climatiques et la perte de biodiversité posent pour les forêts, il est impératif de modifier certaines pratiques et de revoir le régime qui les soutient. Nous avons besoin d’une modernisation de la foresterie favorisant la résilience naturelle des forêts et protégeant la biodiversité. Ce que nous proposons n’est pas un arrêt de la foresterie, mais plutôt son adaptation à l’avenir, avec un soutien des travailleur-euse-s du secteur.

L’avenir de la forêt

Pourquoi avons-nous besoin d’une modernisation du régime forestier ?

Le secteur forestier au Québec est actuellement en crise. Au cœur de la problématique : le besoin constant de produire un rendement soutenu, notion qui va à l’encontre des nouvelles réalités économiques, climatiques et environnementales.

Le statu quo n’est plus tenable. C’est pourquoi une majorité d’acteurs et d’actrices allant des groupes environnementaux à l’industrie en passant par les syndicats réclament des changements. En réponse, le gouvernement québécois a lancé au printemps 2024 une démarche de réflexion sur l’avenir de la forêt. Plusieurs groupes, dont Nature Québec, y ont soumis des mémoires, et un projet de loi devrait bientôt être déposé comme pilier d’une nouvelle réforme.

Or, il y a présentement deux visions qui s’opposent quant à la direction que devrait prendre cette réforme : celle qui voudrait donner plus de poids aux intérêts à court terme de l’industrie en diminuant les contraintes environnementales ET celle qui mise sur une modernisation du secteur forestier qui prendrait en compte les limites des écosystèmes, la perspective économique à long terme et la nécessaire diversification économique des régions. 

Quelles visions s’opposent pour l’avenir de la forêt dans les prochaines années ?

Quasi toutes les parties prenantes demandent une réforme du régime forestier. Cependant, leurs visions s’opposent.

Nature Québec prône une gestion écologique des forêts, fondée sur l’aménagement écosystémique comme base pour développer une foresterie d’adaptation, afin de préserver et renforcer les processus naturels de résilience. Cela par l’intégration du principe de précaution, l’ajout d’une section de gestion des risques et d’adaptation aux changements climatiques dans les Plans d’aménagement forestier intégré tactiques (PAFIT) et la création d’une stratégie nationale forestière d’adaptation. Il est essentiel d’amorcer une transition juste du secteur forestier, de diversifier l’économie des communautés forestières et d’établir un véritable dialogue avec les Premières Nations pour des ententes de gouvernement à gouvernement. La gouvernance régionale doit garantir une vision intégrée et durable, avec une reddition de comptes claire sur la valorisation des forêts.

À cela s’oppose une vision court-termiste de certain-e-s acteur-rice-s industriel-le-s que nous dénonçons puisqu’elle remet en question l’aménagement écosystémique et préconise une intensification des coupes au détriment de la biodiversité et de la résilience des écosystèmes. En maximisant la production plutôt que la valeur marchande des bois sur pied, cette approche met en péril les forêts et les communautés qui en dépendent. Elle favorise une gouvernance décentralisée et flexible, avec une planification à long terme qui vise à prioriser le rendement immédiat plutôt qu’à garantir une gestion durable. En l’absence d’une imputabilité politique forte et d’une vision intégrée, cette approche risque de servir principalement les intérêts économiques à court terme plutôt que la durabilité à long terme des écosystèmes forestiers.

Nous plaidons pour un virage vers une reconnaissance de toutes les dimensions écologiques, sociales et économiques de la forêt, plutôt que de la réduire à un simple volume de bois à exploiter.

Quels sont les problèmes en lien avec l’actuel projet de réforme du gouvernement du Québec ?

Si la majorité des acteurs et actrices concerné-e-s (groupes environnementaux, industrie forestière, syndicats, etc) s’entendent sur l’absolue nécessité d’une réforme, celle qui se dessine au ministère des Ressources naturelles et des Forêts nous inquiète au plus haut point. Voici les reculs que nous redoutons dans le projet de loi qui sera déposé au printemps :

  • L’abandon des gains environnementaux hérités de l’Erreur boréale et de la Commission Coulombe
  • Un zonage en triade où une partie importante de la forêt publique serait cédée aux intérêts industriels
  • Le manque de garanties pour la conservation et la biodiversité
  • Le manque d’imputabilité politique dans la prise de décisions
  • Le non-respect des droits des Peuples autochtones
  • L’absence de vision à long terme pour soutenir les travailleur-euse-s et les communautés dépendantes de la forêt.

Quel est le problème avec le zonage en triade proposé par cette réforme ?

Dans son projet de réforme du régime forestier, le gouvernement du Québec propose un zonage forestier public basé sur la triade. Trois types de zones seraient créés : production intensive de bois (priorité à l’industrie), multi-usages (conciliant divers besoins) et conservation. Nature Québec considère qu’un zonage pour procéder à de la sylviculture intensive n’est pas nécessaire et cela nous inquiète de voir près du tiers de la forêt publique réservé aux seuls intérêts industriels, au détriment des autres usagers et usagères. Ne pas consulter les autres usagers-ères sur une portion aussi considérable du territoire est antidémocratique et compromet l’harmonisation des usages forestiers au Québec. Toutefois, si le zonage en triade est retenu, il doit être appliqué avec prudence et rigueur. Nous insistons sur l’importance de commencer par la définition des zones de conservation, suivies des zones multi-usages, puis des zones de production de bois.

Quand le projet de loi sur la réforme de la foresterie sera-t-il déposé à l’Assemblée nationale ?

Il pourrait être déposé en avril ou mai et pourrait être adopté avant la fin des travaux parlementaires (6 juin 2025).

 

Que propose Nature Québec pour l’avenir de la forêt et des travailleur-euse-s de la forêt ?

Il est possible de mettre en place de meilleures pratiques forestières, au bénéfice des forêts, de la biodiversité, des travailleur-euse-s du secteur et des communautés.  

Selon Nature Québec, une modernisation de la foresterie s’impose et implique notamment de :

  • Maintenir les gains environnementaux hérités de la Commission Coulombe et du documentaire l’Erreur boréale comme l’aménagement écosystémique ;  
  • Faire une plus grande place à la conservation des « vieilles forêts » et de la biodiversité forestière, au bénéfice de la nature et des communautés qui utilisent la forêt ;
  • Agir face au déclin de la biodiversité et des espèces comme le caribou ;
  • Reconnaître la diversité des usages de la forêt (conservation, usages traditionnels, chasse, pêche, récréotourisme, foresterie), incluant une meilleure consultation des différent-e-s usagers et usagères de la forêt ;
  • Respecter les droits des Premières Nations ;
  • Maintenir l’imputabilité politique dans la prise de décision concernant la planification forestière ;
  • Réduire la dépendance au bois résineux, mieux valoriser les essences sous-exploitées, développer la deuxième et la troisième transformation ici, au Québec, et miser sur l’innovation pour transformer le modèle d’affaires de l’industrie forestière ; 
  • Miser sur une diversification économique des régions et la co-création avec les travailleur-euse-s d’un plan de transformation industrielle et de transition juste. 

Est-ce que des emplois seraient menacés par une modernisation de la foresterie au Québec ?

La foresterie reste et restera une avenue économique importante dans plusieurs régions du Québec. Toutefois, l’industrie contribue actuellement à un appauvrissement des forêts qui va ironiquement nuire à sa productivité et sa valeur économique future. Son modèle, basé sur l’exploitation intensive du bois résineux, menace l’avenir des travailleur-euse-s et des communautés. À cela s’ajoutent les menaces environnementales et climatiques.

Bref, qu’il y ait une refonte du régime forestier ou non, plusieurs emplois forestiers sont déjà en danger et connaissent un déclin.

La seule refonte qui permettra de sécuriser des emplois à long terme est une modernisation de la foresterie pour la rendre plus pérenne en diversifiant les économies régionales et protégeant les travailleur-euse-s par un plan de transition juste du secteur. Pour ce faire, le plan doit être pensé et co-créé en concertation avec les parties prenantes, principalement le gouvernement, les syndicats, les travailleur-euse-s, les acteurs régionaux et les entreprises. Des investissements doivent aussi s’y rattacher, afin de favoriser l’émergence de nouvelles filières économiques régionales.