Foire aux questions
Caribou, je t’aime
Quelle est la différence entre les caribous et les orignaux ? N’y en a-t-il pas plein au Québec?
Bien que les caribous, les orignaux et les cerfs soient tous des cervidés, ils demeurent très différents. Ils se distinguent notamment par leur taille et la forme de leurs bois. Les caribous appartiennent à la même espèce que les rennes en Europe. Le caribou de la Gaspésie fait partie de la sous-espèce des caribous des bois (Rangifer tarandus) et de l’écotype montagnard. Il s’agit de l’un des trois écotypes que l’on trouve au Québec, aux côtés du caribou forestier et du caribou migrateur (toundrique). Contrairement aux populations de cerfs et d’orignaux, celles de caribous présentes au Québec connaissent toutes un déclin et sont vulnérables aux impacts des activités humaines.
Pour apprendre à mieux différencier les cervidés, vous pouvez lire notre article Différences entre caribou, orignal, cerf, wapiti
Où vivent les caribous de la Gaspésie?
Historiquement, il y avait des caribous dans l’ensemble de la région gaspésienne, dans les provinces maritimes et dans le Nord-Est des États-Unis. Peu à peu, la population s’est concentrée dans les montagnes et au centre de la péninsule. Elle est aujourd’hui principalement confinée aux plus hauts plateaux des monts Chic-Chocs (dont les monts Albert et Logan font partie) et des monts McGerrigle (incluant les monts Jacques-Cartier et Vallières-de-Saint-Réal), au coeur du parc national de la Gaspésie.
Moisan, G. 1956. Le caribou de Gaspé I. Histoire et distribution. Naturaliste Can. 83: 225-234.
Combien en reste-t-il?
Le dernier inventaire réalisé à l’automne 2023 indique qu’il ne reste qu’environ 23 à 25 individus. Bien que les données résultant de l’observation comportent une marge d’erreur, on observe un déclin très net par rapport aux chiffres des années 1980, où on observait parfois plus de 200 caribous.
Barbé, M., M. Morin, G. Chabot et T. Doucet. 2023. Inventaire aérien de la population de caribous montagnards (Rangifer tarandus caribou) de la Gaspésie : Rapport d’inventaire – Automne 2022 et 2023. Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Direction de la gestion de la faune de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine – Sainte-Anne-des-Monts, Québec, 18 p.
Comment les scientifiques savent-ils le nombre de caribou restants?
La principale méthode utilisée pour le dénombrement des caribous consiste à survoler les secteurs des monts Albert et McGerrigle en automne. Durant cette période, habituellement lors des deux premières semaines d’octobre, les caribous sont en rut et se rassemblent majoritairement dans certaines zones dégagées, en milieu alpin et subalpin. Les observateurs à bord de l’appareil peuvent alors dénombrer les individus, puis l’application d’un taux de visibilité permet d’estimer le nombre total de caribous. Pour le secteur du mont Logan, où les caribous utilisent davantage les forêts matures, l’inventaire est effectué à l’aide de pièges photographiques automatisés. Cela permet d’évaluer le nombre minimal de caribous qui fréquentent le secteur, sans pouvoir en estimer le nombre total.
Pourquoi les caribous de la Gaspésie sont-ils uniques?
Les caribous de la Gaspésie sont les derniers caribous en vie au sud du Saint-Laurent. Il s’agit également de l’une des deux seules populations de caribous montagnards au Québec. Finalement, la population de caribous de la Gaspésie est considérée comme génétiquement distincte des autres hardes. Elle est donc géographiquement et génétiquement isolée des autres populations de caribous du Québec et du Canada.
Courtois, R., Bernatchez, L., Ouellet, J.-P. et Breton, L. 2002. Les écotypes de caribou forment-ils des entités génétiques distinctes? Société de la faune et des parcs du Québec, Direction de la recherche sur la faune. 35 p. https://mffp.gouv.qc.ca/documents/faune/ecotypes_caribou.pdf
Pourquoi est-il important de protéger le caribou de la Gaspésie?
Le fait qu’ils soient les derniers caribous au sud du Saint-Laurent et le fait qu’ils soient uniques donnent aux caribous de la Gaspésie une grande valeur pour la biodiversité. Mais ce n’est pas tout : on dit souvent que le caribou est une espèce « parapluie ». Cela signifie qu’en protégeant son habitat, on protège du même coup plusieurs autres espèces. Dans le cas du caribou de la Gaspésie, la protection de son habitat peut être bénéfique à la martre d’Amérique et à la grive de Bicknell, une espèce d’oiseau vulnérable. De plus, le parc national de la Gaspésie a été créé entre autres à des fins de protection du caribou, qui est l’emblème du parc; le caribou contribue donc d’une certaine manière à la valeur récréotouristique et économique du parc. Finalement, le caribou a une place importante dans la culture et le rayonnement de la Gaspésie. Ainsi, quand les entreprises n’ont pas carrément le mot «caribou» dans leur dénomination, elles sont nombreuses à utiliser sa silhouette comme emblème.
Le déclin des caribous de la Gaspésie ne suit-il pas un cycle naturel?
Bien que les populations animales puissent suivre des cycles naturels en fonction de l’abondance de nourriture ou de prédateurs, ce n’est pas ce qui explique le déclin continu du caribou de la Gaspésie. Depuis que les scientifiques suivent les populations, les effectifs sont passés d’entre 700 et 1500 individus en 1953 à environ 300 à 400 individus en 1969, puis environ 250 à 300 individus au début des années 1980. Finalement, depuis 2008 seulement, les effectifs ont diminué de plus de 70% et sont passés d’environ 130 à moins de 40 caribous lors du dernier inventaire en 2020. Il est reconnu scientifiquement que le déclin du caribou de la Gaspésie est associé à l’activité humaine beaucoup plus qu’à des facteurs naturels.
Moisan, G. 1957. Le caribou de Gaspé III : analyse de la population et plan d’aménagement, Le Naturaliste Canadien, Québec, 84: 5-27.
Au rythme actuel, quand le caribou de la Gaspésie va-t-il s’éteindre?
Cette question est complexe et dépend de plusieurs facteurs, dont notre rapidité à mettre en place de bonnes mesures de protection. Cependant, avec le déclin observé dans les dernières années, certains experts estiment que le caribou de la Gaspésie présente des risques d’extinction élevés d’ici 50 ans.
Frenette, J., et St-Laurent, M.-H. 2016. Acquisition de connaissances nécessaires à la désignation de l’habitat essentiel du caribou des bois, population de la Gaspésie-Atlantique – Rapport intérimaire 2016. Rapport scientifique présenté à Environnement Canada – Service Canadien de la Faune. Rimouski (Québec). iii + 47 p.
Est-il encore possible de sauver le caribou de la Gaspésie?
Oui, tout à fait! Malgré le faible effectif de la population, des solutions basées sur la science sont accessibles afin de rétablir la population. Par exemple, l’élevage conservatoire est un moyen utilisé chez d’autres populations de caribous afin d’augmenter l’effectif de la population tout en favorisant un mélange génétique. Couplée à la restauration de l’habitat, cette méthode aurait une bonne probabilité de réussite. À titre d’exemple, les caribous de la région de Peace River, au Nord-Est de la Colombie-Britannique, sont passés de 36 à 95 individus en 6 ans (de 2014 à 2020) grâce aux efforts combinés de conservation. De plus, il ne faut pas oublier que le gouvernement fédéral a l’obligation légale de protéger cette population qui est intrinsèquement liée à la santé de tout l’écosystème forestier!
Le caribou de la Gaspésie est-il protégé?
Le caribou de la Gaspésie a aujourd’hui un double statut légal de protection : un statut d’espèce “menacée” au Québec en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables (LEMV) depuis 2009 et un statut “en voie de disparition” au Canada en vertu de la Loi sur les espèces en péril depuis 2004. Ce désir de protection du caribou ne date pas d’hier. C’est notamment dans ce but que le parc national de la Gaspésie a été créé en 1937 et que l’exploitation forestière et minière y sont toutes deux interdites depuis 1977. Malgré ces protections, le caribou décline. Seule une partie de son habitat essentiel est protégée par le parc national de la Gaspésie de façon permanente.
Environnement et Changement climatique Canada. 2020. Programme de rétablissement modifié du caribou des bois (Rangifer tarandus caribou), population de la Gaspésie-Atlantique, au Canada [Proposition], Série de Programmes de rétablissement de la Loi sur les espèces en péril, Environnement et Changement climatique Canada, Ottawa, viii + 88 p. https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/registre-public-especes-peril/programmes-retablissement/caribou-des-bois-gaspesie.html
Le gouvernement n’est-il pas censé protéger les espèces menacées?
Oui, mais malgré la mise en place de trois plans de rétablissement pour le caribou de la Gaspésie (1990-1996 ; 2002-2012 ; 2019-2029), sa situation n’a cessé de se dégrader. Malheureusement, l’application des mesures préconisées par les scientifiques se heurte à des considérations politiques et économiques. Les actions du gouvernement du Québec devront être plus ambitieuses si l’on veut maintenir l’espoir de sauver et rétablir le caribou.
Pourquoi le parc national de la Gaspésie ne suffit-il pas à la protection?
Avec ses 802 km2, le parc national de la Gaspésie a été créé notamment pour protéger le caribou de la Gaspésie. Les caribous y passent environ 80 % de leur temps, mais les relevés de télémétrie satellitaire démontrent qu’ils fréquentent aussi des forêts au-delà des limites du parc. À ces endroits, les activités humaines telles que les coupes forestières ont dégradé son habitat et ont nui à sa protection.
Mosnier, A., Ouellet, J.-P., Sirois, L. et Fournier, N. 2003. Habitat selection and home-range dynamics of the Gaspé caribou: a hierarchical analysis, Canadian Journal of Zoology, 81: 1174-1184. https://cdnsciencepub.com/doi/pdf/10.1139/z03-065
Est-ce que la chasse est à blâmer dans le déclin du caribou?
La chasse a historiquement participé au déclin du caribou de la Gaspésie. Cependant, elle est interdite depuis 1949. Il est toujours possible qu’il y ait du braconnage, mais celui-ci est sévèrement puni et probablement très rare.
Alors, quelles sont les menaces pour les caribous de la Gaspésie?
Les principales menaces pour la survie et le rétablissement du caribou de la Gaspésie sont :
- L’exploitation forestière, telle que la coupe des forêts matures qui lui servent d’habitat et assurent son alimentation ;
- La prolifération de prédateurs, soit le coyote et l’ours noir ;
- Le développement du réseau routier, principalement celui des chemins forestiers, qui peut représenter un obstacle au déplacement du caribou et favoriser le déplacement des prédateurs ;
- La multiplication des sources de dérangement liées aux activités industrielles et au récréotourisme qui occasionnent du stress.
Équipe de rétablissement du caribou de la Gaspésie. 2018. Plan de rétablissement de la population de caribous (Rangifer tarandus caribou) de la Gaspésie — 2019-2029, produit pour le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, Direction générale de la gestion de la faune et des habitats, 59 p. https://mffp.gouv.qc.ca/documents/faune/especes/PL_retablissement_caribou_Gaspesie_MFFP.pdf
Pourquoi la coupe des forêts matures nuit-elle aux caribous?
Les coupes forestières font disparaître les forêts matures et le lichen arboricole dont le caribou se nourrit l’hiver. Les coupes laissent pousser des forêts plus jeunes qui sont notamment favorables aux orignaux, aux lièvres et aux arbustes fruitiers, et donc à l’alimentation des prédateurs du caribou. Les chemins forestiers créés pour les coupes facilitent le déplacement de ces prédateurs et sont évités par le caribou.
Est-ce que les activités récréotouristiques sont problématiques?
Pas nécessairement. Cela dépend du type d’activité, du contexte et de l’endroit. Certains secteurs sont plus sensibles que d’autres, et il a été démontré que certaines activités comme le ski hors-piste peuvent être une source de dérangement. Cela dit, la majorité des activités récréotouristiques, lorsqu’elles n’appellent pas à entrer en contact avec le caribou et évitent les zones sensibles, ne posent pas de problèmes. Pour les activités plus susceptibles de déranger le caribou, des solutions doivent être trouvées et mises en place de manière transparente et en collaboration avec les acteurs du milieu. Dans tous les cas, la cohabitation avec les activités de récréotourisme sera plus facile si on protège mieux l’habitat du caribou dans l’avenir.
Lesmerises, F., Déry, F., Johnson, C.J. et St-Laurent, M.-H. 2018. Spatiotemporal response of mountain caribou to the intensity of backcountry skiing. Biological Conservation 217:149-156. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0006320717308662
Que doit-on faire pour sauver les caribous de la Gaspésie?
Les solutions pour freiner le déclin des caribous de la Gaspésie sont à grande échelle : elles comprennent la création d’aires protégées, la diminution des coupes forestières autour du parc national de la Gaspésie et la mise en place de solutions pour limiter les impacts des activités humaines dans son habitat. De telles mesures doivent être appliquées de manière rigoureuse par le gouvernement québécois. Elles doivent s’appuyer sur la science, mais également être transparentes, prévisibles et faire l’objet de discussions avec les communautés locales, qui peuvent proposer des solutions intéressantes.
Il y a d’autres populations de caribous au nord du Saint-Laurent. Pourquoi ne pas les accoupler avec les caribous de la Gaspésie?
Le déclin des caribous de la Gaspésie est principalement causé par la dégradation de son habitat et l’augmentation de la prédation. Importer de nouveaux individus ne réglera pas le problème à la source, et la population pourrait très bien continuer à décliner. De surcroît, le déplacement d’individus est un processus stressant pour les animaux, et la plupart des populations de caribous au nord connaissent déjà un déclin. Ainsi, il est important d’investir les énergies dans la protection et la restauration de l’habitat et utiliser les mesures de dernier recours, justement en dernier recours.
Pourquoi ne pas transporter les caribous de la Gaspésie au nord, avec les autres caribous?
Comme mentionné dans la réponse précédente, le déplacement de caribous demeure une mesure risquée et de dernier recours. De plus, les caribous de la Gaspésie ont évolué dans un environnement différent de celui des caribous forestiers et toundriques qui vivent au nord du St-Laurent, ce qui pourrait nuire à leur survie s’ils étaient relocalisés. Finalement, le déplacement de la totalité de la population de caribous de la Gaspésie irait à l’encontre de la Loi sur les espèces en péril et représenterait une énorme perte pour le patrimoine naturel.
Est-ce que la mise en enclos et le contrôle des prédateurs peuvent aider?
La mise en enclos des femelles gestantes est une mesure d’urgence déployée pour limiter le déclin fulgurant du caribou de la Gaspésie des dernières années. Toutefois, cette mesure doit être temporaire et être menée en parallèle à la protection et à la restauration de l’habitat, tout comme le contrôle des prédateurs. Sinon, elle ne fait au mieux que repousser l’échéance de l’extinction. Il faut s’attaquer à la source du problème, soit l’impact des activités humaines, et trouver des solutions à long terme pour la cohabitation, de même que la protection et la restauration de son habitat.
Est-ce que la protection du caribou peut nuire à la chasse d’autres gibiers, comme l’orignal?
Les régions de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent comptent des densités d’orignaux parmi les plus élevées au Québec. Par exemple, dans le parc national de la Gaspésie, la densité était estimée à environ 27 orignaux / 10 km2 en 2017. 1 Les orignaux sont à un tel point nombreux que les populations présentent des charges parasitaires (tique d’hiver) particulièrement élevées. De plus, une surabondance d’orignaux (+ de 20 orignaux / 10 km2) 2 peut mettre en péril la régénération de la végétation, ce qui détruirait son propre habitat et celui de plusieurs autres espèces. Cela pourrait même affecter l’industrie forestière en limitant la régénération des sapins. Une meilleure protection du caribou pourrait donc rétablir l’équilibre, engendrant des effets positifs sur les populations d’orignaux et la forêt, tout en permettant de conserver une chasse de qualité. Toutefois, une plus grande transparence est souhaitable lors du processus de fermeture de chemins forestiers utilisés par les chasseurs et les amateurs de plein air. Des solutions de compensation pourraient également être trouvées pour les activités récréotouristiques.
1. Dorais, M. 2017. Inventaire aérien de l’orignal dans le parc national de la Gaspésie à l’hiver 2017, ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, Direction de la gestion de la faune de la Gaspésie – Îles-de-la-Madeleine, 16 p.
2. Crête, M. 1989. Approximation of K carrying capacity for moose in Eastern Quebec. Can. J. Zool. 67:373-380. https://cdnsciencepub.com/doi/pdf/10.1139/z89-055
Comment puis-je aider en tant que citoyen-ne?
Malheureusement, la survie des caribous de la Gaspésie demande des actions importantes et une forte volonté politique. Bien que celles-ci doivent connaître l’adhésion des communautés locales, ce sont les différents paliers de gouvernement qui ont le pouvoir (et le devoir) de les mettre en place. Comme citoyen-ne, il est toutefois possible d’inciter les gouvernements à en faire plus en démontrant notre appui à la protection des caribous de la Gaspésie et en sensibilisant notre entourage à la situation. C’est le principal objectif de la campagne Caribou je t’aime.