Éco-gentrification : qu’est-ce que c’est?

26 juin 2024

Les organismes oeuvrant en protection de l’environnement jouent un rôle considérable dans la promotion de solutions durables pour la nature. Parmi les types d’habitats impliqués dans la réflexion, les milieux urbains sont des espaces où différents écosystèmes cohabitent les uns avec les autres. De plus, les villes sont des endroits où la nature a souvent été largement modifiée, voire érodée, et où l’humain est au centre des préoccupations. La protection de la biodiversité urbaine, le verdissement et la lutte aux îlots de chaleur implique donc de prendre en compte une panoplie de facteurs naturels et humains. 

Parmi ces éléments figure une problématique en plein essor : l’éco-gentrification ou encore l’éco-embourgeoisement. Ce phénomène reste malheureusement encore assez vague dans l’imaginaire collectif, mais représente pourtant un défi de taille que les organismes œuvrant dans le milieu doivent intégrer dans leurs réflexions.

Dans cet article, nous explorerons les implications et conséquences de l’éco-gentrification, en examinant ses implications sociales, économiques et environnementales. Nous parlerons aussi du rôle des organismes comme Nature Québec qui interviennent en environnement urbain dans la recherche de solutions durables pour y remédier.

Qu’est-ce que l’éco-gentrification?

L’éco-gentrification est également appelée éco-embourgeoisement ou encore gentrification verte.

L’éco-gentrification réfère à un processus d’embourgeoisement d’une ville ou d’un quartier suite à une initiative d’aménagement urbain telle que l’écoconstruction, l’ajout d’îlots verts et de parcs, la promotion des transports actifs, et bien plus encore.

Le résultat est donc une transformation visuelle des espaces du quartier, mais qui vient toutefois avec des conséquences sur leur composition sociale et économique.

Pour en apprendre davantage sur la définition de l’éco-embourgeoisement, nous vous invitons à consulter le guide publié en 2023 par l’INSPQ dans lequel notre équipe eue l’opportunité de s’entretenir avec eux sur le sujet. À l’intention des municipalités pour promouvoir un verdissement équitable, le guide «Verdissement urbain et embourgeoisement» propose plusieurs pistes de réflexion dans le but d’atténuer les potentiels effets négatifs dus à l’éco-embourgeoisement.

Les causes et conséquences de l’éco-gentrification

Les résultats immédiats du verdissement en cause dans la gentrification verte peuvent sembler entièrement positifs. En plus de réduire les îlots de chaleur, on pensera aux impacts positifs de la canopée et des végétaux sur la santé, la biodiversité urbaine, la collectivité, à l’attractivité accrue du quartier ou encore à l’accès amélioré aux services écosystémiques et aux transports actifs.

Cependant, à long terme, ce processus peut entraîner le déplacement et l’exclusion sociale des populations plus vulnérables. L’augmentation des loyers et des prix de l’immobilier rend souvent ces quartiers inaccessibles pour ceux qui les habitent depuis des générations, créant ainsi des inégalités sociales croissantes. Par exemple, l’embellissement des quartiers peut entraîner une augmentation de la valeur foncière, ce qui se traduit souvent par une pression à la hausse sur les loyers. Par ailleurs, ces espaces sont parfois peu représentatifs des besoins réels des usager-ères des nouveaux milieux aménagés. On peut penser ici au manque d’inclusivité dans la conception des espaces, ce qui résulterait à des espaces qui limiteraient ainsi la capacité des personnes en situation de vulnérabilité à profiter de ces espaces. En effet, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations Unies mentionne justement que le paysagisme, en particulier avec les arbres, peut faire augmenter la valeur des biens immobiliers de 20%. Ainsi les populations les plus vulnérables peuvent parfois être repoussées vers les périphéries urbaines moins fréquentées.

Quels facteurs augmentent les risques?

Plusieurs facteurs contribuent au risque d’éco-gentrification. Que ce soit parmi les caractéristiques même des espaces verts, la composition démographique d’un quartier, l’emplacement géographique ou encore l’accès aux services publics, une multitude d’enjeux s’entrecroisent et peuvent faire en sorte qu’un quartier faisant l’objet de mesures de verdissement se gentrifie plus qu’un autre. Prenons par exemple un processus axé davantage sur des initiatives commerciales privées et où cet accès aux espaces verts serait réservé à une clientèle davantage aisée financièrement.

Une fois ces facteurs pris en compte, les politiques publiques, telles que les investissements dans l’aménagement urbain ou dans le logement social, peuvent également augmenter ou diminuer les risques d’éco-gentrification. Guillaume Béliveau-Côté, animateur-coordonnateur du Comité des citoyens et citoyennes du quartier Saint-Sauveur, mentionne que tant que la ville sera exclusivement imaginée comme un milieu d’investissements ou commercial, la gentrification dans toutes ses dimensions sera inévitable. Donc, la problématique est lorsque le territoire devient un bien de consommation : plus il est attrayant, plus il prend de la valeur et plus il sera prisé par les investissements privés qui feront monter le prix des loyers et limiteront le caractère publique des lieux. A contrario, des politiques plus robustes de logement social permettent de limiter les enjeux d’abordabilité des loyers et donc, peuvent limiter l’effet d’«éviction» de populations vulnérables des quartiers qui subissent une cure de revitalisation verte.

Par ailleurs, lorsque l’on parle de voir les quartiers comme biens de consommation, il ne faut pas oublier que « l’environnement» le devient de plus en plus. Ainsi, Sophie L. Van Neste et Jean-Philippe Royer, respectivement professeure et étudiant à la maîtrise en études urbaines à l’INRS, précisent dans un article du journal Le Devoir de faire particulièrement attention à la marchandisation du label écologique lors de la promotion de projets de développement urbain. Ce phénomène pourrait fortement contribuer à l’éco-gentrification de par la valorisation accrue du projet mis en place.

« Il faut faire attention par contre, ce n’est pas de tout arrêter les initiatives de verdissement en se disant que ça va faire de la gentrification, il faut simplement s’assurer de travailler dans une optique d’inclusion sociale. On ne laissera pas les gens en situation de vulnérabilité dans des quartiers bétonnés non plus. »

– Guillaume Béliveau-Côté, du Comité citoyen du quartier de Saint-Sauveur

La nécessité d’une approche inclusive

Pour atténuer les effets négatifs de l’éco-embourgeoisement d’une ville, il est essentiel d’adopter des approches inclusives et participatives lors de la conception, de la mise en œuvre et du développement des projets d’espaces verts. Ainsi, pour mieux représenter les besoins des populations mixtes dans les quartiers ciblés, il est primordial d’impliquer toutes les parties dans l’ensemble des étapes du projet. En donnant la priorité à la voix des populations les plus vulnérables et en favorisant la cohabitation des différents groupes sociaux au sein des quartiers, les initiatives de verdissement urbain seront plus pérennes et plus pertinentes pour ses usager-ères.

En plus des communautés locales, les initiatives pour verdir peuvent aussi être conçues en collaboration avec des professionnel-le-s spécialisé-e-s, que ce soit en droit du logement, en intervention, en santé publique, en recherche ou autres.

Tel que mentionné par Marie-Ève Duchesne du Comité populaire Saint-Jean-Baptiste, il y a une grosse dimension sociale à prendre en compte au sein des projets de verdissement. Par exemple, ce sont malheureusement les personnes en situation de vulnérabilité qui sont les plus touchées par rapport aux îlots de chaleur. Il faudrait donc prioriser des projets qui s’attaquent à cette problématique et où il y a déjà des remparts dans la protection des droits sociaux tels que le logement pour tous-tes. On peut penser à la transformation des terrains d’habitations à loyers modiques qui mobilisent les résident-e-s en amont afin de s’assurer que leurs besoins soient convenablement représentés. Mme Duchesne rappelle toutefois de demeurer prudent-e avec l’utilisation du mot revitalisation qui peut avoir une connotation péjorative lorsque nous parlons d’aménagement urbain. Il pourrait porter le message de « la remise à neuf est essentielle, car ce qui était là avant n’est plus pertinent ». Ainsi, il est essentiel d’inclure l’historique des espaces ciblés et donc de garder une trace et des repères du passé afin de ne pas négliger le passage des communautés présentes avant l’action d’aménagement.

Et Nature Québec dans tout ça ?

Dans le contexte actuel de crise climatique, mais également de l’inflation et du logement, il est essentiel d’intégrer les risques liés à l’éco-gentrification dans notre réflexion et le design de nos projets. Nous devons chercher des moyens durables de fournir des îlots de fraîcheur et un accès à la nature aux populations les plus vulnérables aux changements climatiques, afin d’éviter une maladaptation à ces changements.

Dans sa lutte contre les effets indésirables de ce phénomène, Nature Québec s’engage dans un débat crucial. Reconnaissant les liens complexes entre verdissement urbain et gentrification, notamment l’impact sur la valeur immobilière et les loyers, Nature Québec veut mettre de l’avant les voix des populations les plus vulnérables dans ses projets. Nous croyons aussi que c’est principalement en plaçant le verdissement comme un droit public essentiel pour la santé de tous et de toutes que nous arriverons à encourager l’inclusivité sociale, l’équité et la diversité au sein des projets urbains et ce, de façon plus durable.

Pour des villes vivantes

Découvrez un exemple concret avec notre projet achevé en mars 2024, Pour des villes vivantes. Ces projets d’espaces verts visent à rendre la nature plus accessible en milieu urbain et à promouvoir les déplacements actifs et assistés autant à Québec qu’à Montréal. Nous avons consulté activement les personnes aînées et celles en situation de vulnérabilité pour intégrer leurs besoins et expertises. De plus, une communauté de professionnels de la santé et de chercheurs a contribué à la création du Guide pour des villes vivantes, regroupant des recommandations pour les villes québécoises.

Conclusion

S’il fallait donc retenir un élément central : c’est qu’il est primordial de reconnaître et de comprendre les divers effets des projets de développement urbain sur les populations locales. Ceux-ci ne se résument pas seulement à une transformation écologique, mais doivent également viser une inclusion sociale. Nous devons veiller à ne pas contribuer à la reproduction ou à l’aggravation des inégalités, et ce, en ciblant spécifiquement les populations en situation de précarité et en anticipant les problèmes potentiels. 

Attention toutefois de ne pas minimiser non plus les effets positifs des projets d’espaces verts sur la santé et sur l’environnement. En adoptant une approche équilibrée et inclusive, nos actions en environnement urbain peuvent contribuer à façonner des projets de développement urbain qui bénéficient à l’ensemble de la communauté dans la ville, tout en préservant les valeurs d’équité et de durabilité. 

Dans cette optique, tel que mentionné par Raymond Poirier, président du Conseil de quartier du Vieux-Limoilou, des solutions inclusives telles que l’exploration d’autres modes d’appropriation du milieu, par exemple, les ruelles vertes, peuvent créer de nouveaux espaces de voisinage. Il est ainsi essentiel d’aller au-delà de la simple exécution des projets de verdissement. Nous devons également nous concentrer sur la sensibilisation des citoyen-ne-s quant à l’importance de ces initiatives, en développant des outils de communication vulgarisés. De plus, il est nécessaire d’instaurer une pédagogie et une culture autour du rôle des arbres et de la végétalisation en milieu urbain. Cette démarche vise à rendre chaque citoyen-ne expert-e de son environnement, renforçant le lien entre la communauté et les autorités municipales pour un engagement plus fort dans le processus de prise de décision.

Références

https://www.youtube.com/watch?v=K2VpvNJum54

https://openknowledge.fao.org/server/api/core/bitstreams/41961240-1e4c-44fc-a9cf-66333ebe3cde/content

https://www.vrm.ca/leco-gentrification/

https://liguedesdroits.ca/contrer-la-gentrification-environnementale/

https://www.homelesshub.ca/blog/impacts-green-gentrification-homelessness-urban-greening-and-displacement-parc-extension

https://ouq.qc.ca/wp-content/uploads/2024/02/urbanite-hiver-2024.pdf

https://thelinknewspaper.ca/article/what-eco-gentrification-is-and-how-we-can-avoid-pushing-out-the-poor

https://www.inspq.qc.ca/publications/3443

https://www.lapresse.ca/actualites/sciences/2023-05-28/la-menace-de-l-eco-embourgeoisement.php

https://www.millenaire3.com/ressources/2021/eco-gentrification-l-effet-pervers-des-espaces-verts

https://www.la-liberte.ca/2023/10/30/comment-eviter-leco-embourgeoisement-en-ville/

https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/26494

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/563238/pieges-et-defis-des-quartiers-urbains-ecologiques

https://www.theguardian.com/cities/2015/may/06/dangers-ecogentrification-best-way-make-city-greener

https://observatoire-ivanhoe-cambridge.umontreal.ca/evenement/journee-conferences-sur-leco-gentrification-une-tendance-inevitable/

https://www.salon.com/2022/02/26/eco-gentrification/

https://baladoquebec.ca/semons-le-changement-le-podcast-de-lecopap/eco-gentrification-partie-1

https://www.researchgate.net/publication/283850125_From_Toxic_Sites_to_Parks_as_Green_LULUs_New_Challenges_of_Inequity_Privilege_Gentrification_and_Exclusion_for_Urban_Environmental_Justice

https://www.nytimes.com/2012/08/22/opinion/in-the-shadows-of-the-high-line.html

Crédits

Rédaction : Aurélie Léveillé, Chargée de communication Environnement urbain

Révision : Gabriel Marquis, Directeur des communications