COP26 et solutions nature : Comment éviter l’écoblanchiment?
10 novembre 2021Au moment où vous lisez ces lignes, la vingt-sixième conférence des parties, amicalement appelée COP26, est en cours. Six ans après la signature de l’Accord de Paris et alors que les rapports du GIEC se multiplient et alertent sur la gravité grandissante de la crise climatique, les attentes envers les États sont énormes. L’heure est au rehaussement de leurs ambitions climatiques. Cela signifie concrètement d’en faire plus… beaucoup plus et surtout plus vite.
C’est quoi, les puits de carbone ?
Selon leur état et leur gestion, les écosystèmes agissent comme capteur ou émetteur de carbone. Ils ont le potentiel de nous protéger contre les pires conséquences des changements climatiques en captant des GES, mais peuvent également devenir émetteurs nets lorsqu’ils sont soumis à un stress. Par exemple, selon les conditions, les forêts peuvent être des “puits de carbone” lorsque les arbres emmagasinent le carbone durant leur croissance. Cependant, elles peuvent également relâcher du carbone lorsqu’elles sont brûlées ou coupées. En somme, en conservant les écosystèmes, en prenant soin de ceux-ci et en les restaurant, on contribue à la lutte aux changements climatiques en préservant leur rôle de puits de carbone.
À ce titre, l’utilisation des terres et leur rôle dans la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris est à l’agenda des négociations. En effet, à l’échelle mondiale, 17% des émissions de GES sont dues à la conversion des terres pour l’urbanisation, l’agriculture et la foresterie. Ces activités humaines empiètent sur les forêts, les milieux humides, les prairies, les zones côtières etc. Ces écosystèmes remplissent pourtant tous des fonctions essentielles au maintien de la biodiversité et au bien-être de l’humanité. Enrayer leur destruction, les restaurer, mais également améliorer les pratiques forestières et agricoles qui les impactent fait donc partie de ce que nous devons faire d’un point de vue environnemental.
Dans le contexte climatique, cela signifie également mettre en place des mesures pour préserver leur rôle de puits de carbone (leur capacité d’absorption de GES, pour faire simple). C’est ce qu’on appelle les solutions fondées sur la nature pour le climat.
Plantons des arbres et tout ira pour le mieux… ou pas
Réduire nos émissions de GES est un enjeu crucial si on veut garantir un futur à l’humanité.
C’est également un défi monumental. C’est pourquoi la tentation de solutions faciles est tout aussi présente que fallacieuse. Elle est aussi une façon pour certains acteurs de maintenir l’ordre établi et d’éviter les coûts politiques et économiques de la lutte, surtout lorsque ces acteurs sont au premier banc des accusés climatiques (on parle notamment des industries fossiles et des pays producteurs de charbon, gaz et pétrole).
C’est dans ce contexte que les solutions fondées sur la nature pour le climat peuvent être récupérées et détournées. La comptabilisation et la compensation des émissions de gaz à effet de serre sont évidemment au cœur des discussions à la COP26. Ces dernières se cristallisent particulièrement autour de l’article 6 de l’Accord de Paris portant sur des mécanismes autorisant chaque pays à réaliser des échanges de réductions d’émissions de GES afin d’atteindre son propre objectif national.
C’est ici que les choses se corsent : la tentation est grande pour plusieurs d’instrumentaliser la nature, de la réduire à un simple rôle de prestataire de service dans une logique réductrice de compensation des émissions et faisant fi de sa valeur intrinsèque. En gros, plantons des arbres, ils absorberont nos GES et on pourra continuer à exploiter les énergies fossiles. On ne s’étonne pas dès lors de voir de plus en plus apparaître des mesures liées à l’implantation de solutions fondées sur la nature dans les plans « Net Zero» d’entreprises comme Shell, TotalEnergies ou encore Nestlé….C’est normal, c’est la voix facile.
Mais c’est loin de tout régler. Dans les faits, si les arbres absorbent bel et bien du carbone, ce bénéfice prendra plusieurs années avant d’être effectif. Par ailleurs, la hausse anticipée de la température laisse entrevoir une augmentation des feux de forêts qui risque d’annuler rapidement l’effet de toutes les plantations d’arbres en relâchant des milliards de tonnes de carbone. D’autre part, les solutions nature doivent être considérées comme un outil de plus dans notre arsenal pour lutter contre les changements climatiques. Elles peuvent aider à rencontrer nos cibles de réduction de GES, mais encore faut-il avoir en tête de réduire nos émissions. En somme, planter un arbre ne sert à rien si on en coupe dix.
Au-delà de ce constat, les critiques de la récupération du concept de solutions nature pointent d’autres problèmes :
1. Les solutions fondées sur la nature pour le climat ne doivent pas se résumer à une opération marketing de la part de grandes entreprises. Ces opérations détournent l’attention du travail de réduction de nos émissions de GES qui doit être fait. Or, au moment où les négociations sur les enjeux d’échange de droits d’émissions patinent, où la réglementation des marchés du carbone est encore floue et où les crédits transigés sont encore bien trop bas pour être efficaces, le risque est grand que la nature ne soit utilisée que dans une logique de compensation. Nous serions alors dans la situation où les solutions nature retarderait l’action climatique au lieu de l’accélérer;
2. Elles pourraient aussi accentuer le contrôle privé, voir les dynamiques de spoliation des terres au détriment des usages traditionnels des territoires et des droits humains, notamment ceux des Premiers peuples;
3. En ne mettant l’accent que sur l’aspect séquestration du carbone, les solutions nature pourraient participer à promouvoir les grandes plantations de monocultures aux dépens de la protection de la biodiversité.
Saviez-vous que les écosystèmes pourraient fournir plus d’un tiers des efforts mondiaux nécessaires à la lutte aux changements climatiques d’ici 2030?
Découvrez le projet En mode solutions nature.
Pour autant, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain
La crise climatique n’est pas la seule que nous vivons actuellement. Non étrangère à la première, il y a aussi un effondrement massif de la diversité biologique. Nous faisons donc face à deux feux qui se nourrissent mutuellement. La bonne nouvelle, c’est que les solutions nature offrent une réponse aux deux problématiques, mais à condition d’encadrer adéquatement leur implantation pour éviter les abus évoqués précédemment.
1. Les solutions nature ne doivent pas servir de permis de polluer
La mobilisation des écosystèmes naturels dans le cadre de la lutte et l’adaptation aux changements climatiques ne doit absolument pas nous détourner du travail colossal et urgent de réduction des émissions de GES.
En ce sens soyons clairs : les solutions fondées sur la nature ne doivent pas faire partie des mécanismes de compensation (marchés carbone). Ceci est d’autant plus impératif qu’en continuant à émettre des GES, non seulement on dépasse les capacités de puit de carbone des milieux naturels, mais en aggravant les impacts des dérèglements climatiques (feux, épidémies d’insectes ravageurs, sécheresse etc.), on accentue leur destruction, au risque de les transformer en émetteurs de carbone. C’est par exemple le cas de la forêt amazonienne qui depuis 2020 est considérée comme source d’émissions plutôt que comme puits.
2. Elles doivent être adaptées à la biodiversité locale et aux écosystèmes dans lesquels elles sont déployées
Les solutions fondées sur la nature doivent être implantées dans le cadre d’approches intégrées où la conservation de la biodiversité locale et l’intégrité des écosystèmes sont priorisées.
La biosphère fonctionne à travers des liens d’interdépendance qui doivent être respectés sous peine d’accentuer les déséquilibres actuels. Par exemple, des plantations d’arbres inappropriés sur des prairies ou des tourbières pourraient au final ajouter plus de carbone dans l’atmosphère qu’en retirer tout, en détruisant des habitats essentiels pour certaines espèces.
3. Elles doivent s’accompagner de systèmes de gouvernances inclusifs
Une gouvernance fondée sur la justice, l’équité et l’inclusion est primordiale.
Les peuples autochtones et communautés locales doivent participer à la mise en œuvre des solutions fondées sur la nature et ce, durant tout le processus. En fait, une participation des Premiers peuples qui ira au-delà de la consultation formelle et qui visera la co-création dès le départ produira toujours de meilleurs résultats qui amélioreront la justice et l’inclusion.
Les solutions nature font partie de l’équation!
Chose certaine, la nature remplira son rôle à condition qu’on n’en fasse pas une utilisation abusive basée sur une interprétation erronée, voire malhonnête de la science. En ce sens, les solutions fondées sur nature ont leur place dans l’éventail des gestes à poser pour lutter et s’adapter aux changements climatiques tout en palliant à la perte de biodiversité et en améliorant le bien-être humain.
Mais leur implantation doit être encadrée par des critères strictes qui intègrent pleinement les avertissements et les sauvegardes décrits ci-dessus ainsi que les autres normes élevées développées par l’Union internationale de conservation de la nature (UICN).
Crédits
Rédaction : Anne-Céline Guyon, chargée de projet climat chez Nature Québec, et Diego Creimer, responsable solutions nature et relations gouvernementales à la SNAP Québec
Révision : Gabriel Marquis